Paroles de Greeters…
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25 ans après avoir été inventé aux Etats-Unis, le phénomène des greeters s’est mondialisé tout en rencontrant dans notre pays un écho unique. La France est ainsi le seul pays au monde à avoir fédéré ses nombreux réseaux de greeters au sein d’une structure nationale : France Greeters. L’occasion de faire le point sur l’actualité et l’avenir de ces si sympathiques ballades bénévoles avec son président, Christian Ragil…
Voyageons autrement : Inventé à NY en 1992, le phénomène Greeters vient de fêter ses 25 ans Quelques chiffres pour résumer ce formidable élan au service de la rencontre ?…
Christian Ragil : En 2017, les Greeters français ont accueillis dans notre pays environ 10.000 visiteurs pour un total de 4700 ballades organisées. Chaque ballade comptant deux à trois personnes en moyenne, exceptionnellement davantage (jusqu’à six), sachant que l’on ne regroupe les personnes que si le greeter est entièrement d’accord. Car ce n’est plus pour lui la même rencontre alors que le greeting, bien plus qu’une visite, c’est d’abord et avant tout cela : une rencontre. Ce qui nous différencie des guides professionnels et nous empêche d’être en conflit avec eux.
VA : Combien de Greeters compte aujourd’hui notre pays ?
CR : 1800, regroupés au sein de 60 réseaux locaux allant du petit village à la grande ville comme Lyon ou Paris. En dehors des communes, existe un second type de réseau, mis en place par les départements : Marne, Orne, Landes, Pas de Calais… et géré via les offices de tourisme. Enfin, à un échelon encore supérieur, des régions entières comme la Touraine créent leur propre réseau ( voir la carte, dans la rubrique : « venez en ballade »). Néanmoins, certaines régions cherchent encore leurs greeters fondateurs : Corse, Bretagne, Pays Basque entre autres. Notre pays constituant donc une exception puisqu’il est le seul au monde, face à l’engouement suscité, à s’être organisé non seulement au niveau régional mais également national. Partout ailleurs les greeters sont regroupés au sein d’associations urbaines. Dans 5 ou 6 villes seulement par exemple aux Etats-Unis où fut pourtant inventé le greeting. Fait amusant : les Japonais qui viennent de nous rejoindre au niveau de la structure mondiale du Global Greeter Network, sont comme le Monsieur Jourdain de Molière : ils pratiquaient le greeting de manière traditionnelle depuis des décennies… sans le savoir !
VA : Vous avez vous-même été président du Global Greeters Network, ce réseau mondial. Qu’est-ce qui a motivé chez vous une telle implication ?
CR : Tout a commencé lorsque je suis tombé sur cette annonce de la ville de Paris cherchant à recruter ses premiers greeters et y ai répondu. J’en avais vraiment marre personnellement d’entendre les gens décrier l’accueil des Français. Aussi, suis-je passé à l’action en répondant à cet appel étonnant. Prenant alors peu à peu conscience du « phénomène » Greeters, je m’y suis de plus en plus impliqué, ravi de rencontrer toutes ces personnes désireuses d’accueillir les visiteurs de passage. Jusqu’à devenir représentant du mouvement au niveau international, en effet, mais tout en continuant d’accueillir moi-même les gens car c’est avant tout la dimension de la rencontre qui me passionne. Les gens ont souvent entendu parler des greeters mais ils n’imaginent pas vraiment la manière dont cela se passe, dans les faits. Or, les visiteurs qui nous contactent pour faire appel à nos services sont réellement avides d’échanges humains et, très vite, une fois passée la phase d’observation, elles se mettent à nous questionner tous azimuts au fil de la ballade : santé, vie quotidienne, école… elles sont curieuses de tout et, souvent, encombrées d’idées fausses et de préjugés sur les Français et leur pays. Nous avons, de fait, un vrai rôle d’ambassadeur à jouer auprès des visiteurs.
VA : Au regard de votre expérience du phénomène, qu’est-ce qui explique son succès ?
CR : Il convient d’abord de relativiser ce succès. Même si le greeting fonctionne bien en France, sur les 89 millions de visiteurs que nous recevons, une infime partie seulement a recours à nos services. Nous nous situons là à l’opposé du tourisme de masse et des pratiques les plus communes. Les gens qui font appel à nous sont souvent déjà venus dans notre pays dont il désirent à présent une découverte plus approfondie, s’étendant au-delà des seuls monuments : rencontrer des Français, échanger avec eux, partager un déjeuner éventuellement, entrer dans notre vie de tous les jours… Nous avons d’ailleurs noté que les visiteurs n’apprécient rien tant que de nous faire remarquer, à un moment ou l’autre, qu’ils sont les seuls étrangers présents sur le lieu où on les a conduits. Ce qu’ils apprécient beaucoup. Alors les questions fusent : « Comment est-il possible qu’il y ait 6 boulangeries différentes dans le quartier alors qu’une seule aurait suffi ?!! ». Et d’entrer pour eux dans les « spécificités » françaises : l’importance de la nourriture et de son choix, les différents goûts, etc.
En réalité, la gratuité entre peu en compte dans l’adhérence des gens au greeting, exception faite des Russes qui ont longtemps cru que le greeting était une sorte de système alternatif pour ne pas payer les visites « officielles »…
VA : Existe-t-il un portrait-robot du greeter ?…
CR : 60% des Greeters ont plus de 65 ans ; il faut disposer d’un peu de temps, c’est vrai, sachant que les ballades s’effectuent le plus souvent en fin de journée ou le week-end. Quant au nombre de ballades effectuées par un greeter, il varie suivant les régions et l’affluence bien entendu, se situant entre 3 et 20 ballades par an. Sur les 60 réseaux de greeters existants à ce jour, 12 seulement sont le fait de particuliers ayant créé une association, tous les autres émanent des offices de tourismes locaux. La spécificité française – et c’est tout l’avantage de se fédérer – étant que nous avons mutualisé nos ressources, mis au point un système commun de gestion des ballades et sommes désormais en mesure à France Greeters d’accueillir et coacher les nouveaux venus souhaitant lancer leur activité.
Bien que n’ayant aucune visée expansionniste, nous essayons également de nous étendre sur le territoire où de trop nombreuses personnes, isolées, voudraient bien, elles aussi, accueillir les visiteurs, mais comment faire en dehors de toute organisation, de tout réseau ?…
VA : Les territoires ont-ils compris rapidement l’enjeu représenté par les greeters en termes d’attractivité ?
CR : Certains oui, d’autres non. Il faut dire que les offices de tourisme ont eu ces dernières années à affronter de multiples changements, souvent radicaux, et que l’objectif national actuel est de ramener leur nombre de 2800 à… seulement 7 ou 800 !! Cela a néanmoins entraîné quelques prises de conscience de taille, à tous points de vue. On a ainsi découvert que l’implication des habitants dans l’accueil des touristes était très importante et que notre pays, de ce côté, avait de sérieux progrès à faire, se classant systématiquement parmi les moins bien notés. Alors, même si le greeting ne représente pour nombre d’offices de tourisme qu’un outil de plus dans leur palette, dans la mesure où ils adhèrent à nos valeurs (gratuité, petits groupes, non-discrimination…) nous sommes ravis de les aider à mieux accueillir leurs visiteurs, ce qui est notre but commun à tous et l’idée fondatrice même de Lynn Brooks lorsqu’elle inventa le greeting.
VA : A-t-on déjà sondé les touristes pour connaître leur appréciation ? Si oui, pour quels résultats ?
CR : Nous convions chaque visiteur à nous faire part de son appréciation, ce que font 62% d’entre eux. Et je dois dire que pour nous, ces retours sont souvent un régal car on y vérifie que c’est bien la rencontre qui plait et marque et que ce « quotidien anodin » que nous avons partagé avec nos visiteurs devient souvent, pour eux, LE trésor authentique du séjour. C’est très motivant. Quant aux motifs d’insatisfaction, le principal tient à la barrière de la langue, certaines personnes pensant pouvoir assurer la visite en anglais ou allemand et n’ayant plus le niveau requis. On ne fait passer aucun test au départ, mais si les remarques s’accumulent, on met le greeter au courant et on lui propose de prendre quelques cours… Les autres insatisfactions, rares, sont généralement liées à des malentendus. Tous les commentaires des visiteurs étant publiés et accessibles à tous en ligne…
VA : Vous venez de tenir votre convention nationale. Quels sont aujourd’hui les enjeux et les grandes questions qui vous occupent ?
CR : La fédération a été créée en 2014 et son bureau est élu pour 3 ans. Jusqu’en 2017, premier exercice, nous nous sommes donc logiquement souciés de de faire l’unité et mutualiser. S’ouvre à présent notre second chantier : améliorer la communication vers l’extérieur et nous faire connaître. Le terme « greeter » lui-même, non-français et inconnu de beaucoup, ayant du mal à passer. C’est pourtant le plus efficace en termes de compréhension pour les oreilles étrangères. Or, à l’heure actuelle, c’est presque encore uniquement par le bouche à oreille que les gens entendent parler de nous. Notre notoriété est très faible. Et comme nous n’avons pas d’argent pour communiquer via de vraies campagnes, nous nous appuyons essentiellement sur les réseaux sociaux et les blogs.
Nous allons également multiplier les contacts et ouvertures en direction des autres acteurs du tourisme participatif. Je pense par exemple aux « Oiseaux de passage », cette start-up coopérative locale fédérant des offres de toutes natures : ballades, visites aux producteurs, etc. Ou encore à cette autre start-up développant un logiciel géo-localisé indiquant tous les points d’intérêts situés aux alentours du lieu où vous vous trouvez… D’autres organisent des déjeuners et des dîners chez l’habitant. Lorsque ce type de propositions est facturé, il ne nous intéresse pas, mais s’il s’agit avant tout de créer des rencontres et des échanges, c’est différent. Enfin, nous tachons de rester ouverts et proactifs en direction des organisations territoriales, car même si les régions ont tendance à devenir de plus en plus importantes en taille (restructuration nationale), certaines sont réellement intéressées par le concept du greeting et nous avons envie d’avancer avec elles…
VA : Comment voyez-vous l’avenir des greeters ?
CR : Difficile à dire. La notion de bénévolat limite bien sûr les choses mais elle n’en demeure pas moins irremplaçable. Du côté des touristes et de la « demande » comme on dit, on sait que ce désir de vivre des expériences authentiques est réel alors que dans le même temps ce qu’on leur propose l’est souvent de moins en moins. Nous apportons donc une vraie réponse à toute une frange de la population qui désire rencontrer et comprendre, tout en partageant certaines valeurs.
Plusieurs tentatives pour mettre en ligne notre système de manière payante ont été opérées. Sans succès jusqu’à présent. Les créateurs de ces plates-formes s’étant focalisés sur les aspects numériques et pratiques alors que dans ce domaine c’est l’Humain qui se trouve au cœur et fait tourner l’ensemble. Notre but n’est pas de devenir une multinationale, juste de pouvoir accueillir les gens le mieux possible. Pour cette raison, en fin de ballade, au moment de se quitter, on explique aux visiteurs comment on fonctionne, entièrement bénévolement, et on leur dit que s’ils ont apprécié le partage et souhaitent nous aider, ils peuvent faire un petit don à l’association. Et le plus souvent, ça marche !…
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Par Jerome Bourgine
Ecrire et voyager. Voyager et écrire... Depuis 50 ans.
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