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Le nomadisme numérique, un mode de vie de paradoxes

| Publié le 23 juillet 2021
Thèmatique :  Acteur privé   Portrait 
             

Clément Marinos, maître de conférences en Économie à l’Université Bretagne Sud et docteur en Aménagement de l’espace travaille depuis 2017 sur le thème du nomadisme numérique et des espaces collaboratifs de travail périphériques. Il partage avec nous son point de vue sur ce nouveau mode de vie, son évolution en ces temps de crise sanitaire, et surtout sur le paradoxe entre l’esprit pionnier solitaire et le besoin de rester connecté… Rencontre. 

Dossier nomadisme numérique, un mode de vie de paradoxes
Nomades numériques sur la plage © Clément Marinos

Le paradoxe exotisme/proximité

« Il y a une sorte de paradoxe. D’un côté, les nomades numériques recherchent l’inconnu, l’exotisme et souhaitent aller toujours plus loin dans des endroits méconnus » commence Clément Marinos en donnant l’exemple de l’archipel des Lofoten en Norvège, un type de destination prisé des nomades numériques. « D’un autre côté, ils recherchent aussi une extrême proximité, une attitude renforcée par la crise sanitaire » poursuit-il en revenant sur la définition du nomade numérique. Peut-on parler de nomadisme numérique si on va séjourner un long weekend avec son ordi chez des copains qui ne vivent qu’à quelques dizaines de kilomètres de chez soi ? Selon Clément, la réponse est oui, la définition du nomadisme numérique n’étant pas figée. « Il n’y a pas de statut juridique non plus et les enquêtes de grande ampleur sont très peu nombreuses à part aux États-Unis où il y en a déjà eu quelques-unes de menées » ajoute-t-il pour renforcer son propos et introduire le concept de mobilités résidentielles temporaires offertes par ce nouveau mode de travail nomade : « D’une part, on a cette massification, vers Bali ou des destinations comme les Canaries par exemple, et de l’autre, de nouvelles formes de résidences temporaires proches émergent ». Vont-elles rester marginales ou se développer dans un monde que Clément qualifie de géographiquement fini  « même s’il reste tout de même des territoires à explorer » ? A suivre. 

Dossier nomadisme numérique, un mode de vie de paradoxes
Archipel de Lofoten, Norvège surf et coworking © Elisabeth Blanchet

Des tiers lieux aux quarts lieux

« Avec mon équipe de chercheurs, on essaye de répertorier des lieux dédiés aux nomades numériques. La notion de mobilité et la dimension touristique qui va avec ne sont pas forcément présents dans les tiers lieux, d’où l’invention du mot « quart lieu » ou « quatrième lieu » qui inclut l’élément mobilité » explique Clément. Il parle aussi d’autres formes de marges liées aux lieux : « On peut par exemple choisir un endroit parce qu’il est dédié à tel ou tel sport ou loisir. Il ne s’agit pas forcément d’aller au fin fond de la jungle, la marge peut se trouver ailleurs ». Il travaille d’ailleurs sur l’élaboration d’une typologie de ces différents types de lieux qu’ils soient centrés sur l’accompagnement, l’entrepreneuriat, l’introspection, la réflexion, le yoga… Ainsi, il observe un certain nombre de familles qui se distinguent. « On peut aussi choisir de vivre à la locale ou au contraire de rester dans une bulle. En tout cas, la constante reste le fait qu’on ne se sépare pas de son ordinateur portable et que l’on continue à gagner sa vie tout en bougeant« .

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Coliving © Clément Marinos

Les prémisses d’une mondialisation du domaine des services ? 

Le lieu ou les lieux, c’est l’entrée vers les nomades numériques qu’utilisent Clément et son groupe de chercheurs pour leur projet Peri#Work (1). A travers la découverte de ce nouveau mode de vie, ils observent notamment les prémisses d’une mondialisation du domaine des services. « On a cette mise en concurrence à l’échelle mondiale. La mobilité, c’est un peu la partie immergée de l’iceberg, les prémisses d’un mouvement bien plus global : l’employeur ne va pas forcément s’intéresser à la localisation de son travailleur. Alors, plutôt que de faire appel à un nomade numérique installé par exemple au Portugal, on va faire travailler un Marocain ou un Indien pour tirer les coûts vers le bas », analyse Clément qui se demande donc si le nomadisme digital n’amorce pas une forme d’a-territorialisation dans le domaine des services. « On voit de plus en plus apparaître un mode de travail présentiel temporaire dans le monde professionnel : on se réunit épisodiquement dans un même lieu mais le reste du temps on est sur un mode géographiquement éclaté. De plus, la période COVID a ouvert les yeux aux entreprises sur ce mode de fonctionnement », poursuit-il avant de revenir sur une définition importante, celle du mot télétravail, souvent employé à mauvais escient quand il s’agit plutôt de travail à domicile, contraint et forcé ! « Il ne faut pas confondre le travail à domicile, avec le travail à distance. La distinction n’est pas assez faite. On reproche au télétravail de ne pas être assez adapté au salarié, mais en fait on parle dans ce cas de travail à la maison avec les enfants à gérer, une mauvaise connexion internet... Le télétravail est beaucoup plus large : il peut s’agir de travailler en voyageant, chez des amis etc. » précise Clément.

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Surf Hotel © Clément Marinos

Un port d’attache et des attaches… numériques

Retour au nomadisme numérique et à un dénominateur commun à tous ceux qui choisissent ce mode de vie : le port d’attache. « Il y a très peu de nomades digitaux qui n’ont plus de base ou de maison car la plupart du temps, être nomade digital correspond à une période de sa vie assez fatigante et contraignante, une sorte d’année sabbatique », constate Clément. Il fait d’ailleurs le parallèle avec les bourgeois du XIXe siècle qui faisaient leur grand tour du monde pour se cultiver pendant une ou quelques années tout au plus. Autre point commun des nomades numériques, les interactions sur les réseaux sociaux : « Ce défaut de proximité géographique au port d’attache est en quelque sorte compensé par une très forte présence en ligne. On échange beaucoup sur les bonnes pratiques du lieu où on vit temporairement, sur les bons plans etc. On cherche à se différencier mais aussi à se rassurer dans des lieux déjà connus et fréquentés par d’autres nomades, bref on a toujours cette ambivalence ». Clément note un autre paradoxe : le fait d’être un « solo traveller » (voyageur solitaire) mais de rechercher à travers les quatrièmes lieux des liens sociaux ou l’appartenance à un groupe ou un territoire : « On a les deux volets : la volonté d’interagir avec les locaux et/ou avec ses pairs tout en ne voulant pas d’attache et surtout en gardant sa liberté de mouvement. On cherche à aller loin mais on veut toujours être connecté au monde. En même temps, on est hors du monde, tout en étant complètement dedans par besoin d’être extrêmement productif ». 

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Clément Marinos © Clément Marinos

Surfer sur la vague du nomadisme digital

Des paradoxes, Clément passe aux destinations et particulièrement aux pays qui se mettent au goût du jour en développant des politiques publiques favorables aux nomades digitaux. « Certains pays proposent des visas dédiés à ces populations, une fiscalité adaptée. J’ai vu que la Grèce s’y mettait mais aussi le Portugal, l’Estonie », constate Clément en enchaînant sur le choix des destinations : « On est d’ailleurs en train de dessiner une carte mondiale du nomadisme numérique avec comme hot spots les grands classiques tels que Les Canaries, Chang Mai, le Portugal, Bali… On a aussi constaté un phénomène intéressant : le rôle d’Instagram et des influenceurs : beaucoup de nomades numériques choisissent leurs lieux en fonction de comptes Instagram qu’ils suivent ». Quant à l’industrie du tourisme, elle tente clairement de « récupérer » les tendances alternatives comme le nomadisme digital selon Clément : « Par exemple, certains grands groupes ont des projets ambitieux autour du nomadisme numérique, l’idée c’est de reprendre les codes, de s’en inspirer et de les traduire dans leurs hôtels et leurs hébergements« . Il mentionne aussi Air BnB qui s’est récemment mis à proposer des locations en moyenne durée. « On a aussi des bailleurs qui ont profité de cette tendance en louant des chambres de soi-disant « coliving » avec un système de conciergerie », poursuit Clément qui a lui-même testé la promesse de vivre en coliving : « Je me suis retrouvé à louer une chambre dans un appart, en une semaine, je n’ai croisé personne. La promesse est un peu tombée à l’eau » … 

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Archipel de Lofoten, Norvège © Elisabeth Blanchet

Du « nomadisme numérique washing » au vrai coliving/working

Clément déplore cette récupération, cette sorte de « nomadisme numérique washing », d’autant plus que pour lui, « le rôle des animateurs est primordial. Sans un animateur, sans un concierge, un lieu perd de son intérêt. Avec un directeur d’hôtel ou un loueur, on est loin de la définition du quatrième lieu et c’est pareil pour les espaces de coworking, il faut une personne qui anime vraiment le lieu, qui connaît le territoire, le promeut »… Il ajoute que dans la construction de ces lieux communautaires, il y a toujours une histoire étroite avec le lieu, un attachement entre l’animateur et ce dernier. Clément parle aussi d’une véritable possibilité de situation « gagnant-gagnant » entre un territoire et l’arrivée de nomades numériques: « Ce sont des gens qui arrivent avec leurs compétences, leur réseau professionnel et qui peuvent mettre tout cela au service du territoire. Même si ça reste anecdotique, il y a des choses qui peuvent évoluer vers des projets comme le AngkorHUB à Siem Reap au Cambodge, un espace basé sur l’échange de compétences qui profite aussi bien aux nomades numériques qu’à la population locale », conclut Clément. 

(1) Le projet Peri#Work cherche à comprendre le rôle des espaces de travail collaboratif sur leurs territoires, en considérant les caractéristiques et trajectoires géographiques et sociales des usagers, leurs interactions et relations à la fois au sein d’un même espace et avec l’extérieur, leurs mobilités, ainsi que leurs projections sur l’avenir.


Le nomadisme numérique, un mode de vie de paradoxes | ©VOYAGEONS AUTREMENT
Par Elisabeth Blanchet
Ancienne prof de maths, je me suis reconvertie dans le photo journalisme en 2003 à Londres où je vivais. J’ai travaillé pour différents magazines dont Time Out London et j’ai développé des projets à longs termes dont un sujet les préfabriqués d’après-guerre, une véritable obsession qui perdure, les Irish Travellers -nomades Irlandais- dans le monde, les orphelins de Ceausescu - je suis des jeunes qui ont grandi dans les orphelinats du dictateur depuis 25 ans -. Je voyage beaucoup et j’adore raconter des histoires en photo, avec des mots, en filmant, en enregistrant… Des histoires de lieux, de découvertes mais surtout de gens. Destinations de cœur : Royaume-Uni, Irlande, Laponie, Russie, Etats-Unis, Balkans, Irlande, Lewis & Harris Coup de cœur tourisme responsable : Caravan, le Tiny House Hotel de Portland, Oregon – Mon livre de voyage : L’Usage du Monde de Nicolas Bouvier – Le livre que je ne prends jamais en voyage : L’oeuvre complète de Proust à cause du poids – Une petite phrase qui parle à mon cœur de voyageur : « Home is where you park it »
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