#TourismeDurable

Est-ce que les touristes vont bien ? Psychanalyse humoristique du voyage contemporain

| Publié le 8 septembre 2025
Thèmatique :  Conseils   Éducation   Tourisme de masse 
           

Le Tréma posait la question qui pique : « Est-ce que les hétéros vont bien ? ». Comme beaucoup, on reprend l’idée et on élargit la salle d’attente. Car un autre patient mérite son diagnostic : le touriste contemporain.
Les signes cliniques s’accumulent. Récemment, une influenceuse TikTok a raté son avion, persuadée par ChatGPT qu’aucun visa n’était nécessaire pour son vol. Un autre cas malheureusement pas si rare que ça, un camping-cariste s’est retrouvé bloqué par la marée montante (même la vue doit être incroyable). Deux anecdotes, parmi tant d’autres, qui confirment : le touriste ne va pas très bien.
Pas d’inquiétude cependant : on ouvre la séance avec humour et tendresse. On s’amuse en proposant une fiche patient du touriste qui ne va pas bien avec diagnostic, symptômes et prescriptions médicales. Allongez-vous sur le divan : bienvenue à la première psychanalyse du voyageur contemporain.

Spoiler : il y a un peu de travail… (source : La manche libre, Bernard Letissier)

Patient n°1 : le boulimique du Revenge Travel

Le Revenge Travel, c’est cette frénésie post-Covid où l’on voyage comme si chaque billet d’avion était une revanche sur deux ans de confinement.

Profil : notre patient est un urbain de 25 à 40 ans, carte bancaire à la main et FOMO en intraveineuse. Son quotidien, c’est de cocher frénétiquement les cases de son tableur-vacances : Barcelone, Rome, Prague. Le monde est devenu pour lui un buffet à volonté, où tout doit être englouti le plus vite possible.

WTF : il voulait « se reconnecter au monde » et finit par aligner cinq pays en dix jours, avalant plus de kérosène qu’un cargo de marchandises. Son exploit ultime ? Tokyo–Paris–Tokyo en 48 heures pour manger un croissant et revenir plus fatigué qu’avant son départ. On est loin du voyage durable : c’est du tourisme en mode start-up nation, où la performance prime sur l’expérience.

Prescription : une cure obligatoire de slow tourism. Ne pas dépasser 10 km/jour, pratiquer la sieste comme un rituel sacré et tenir un carnet de notes à la place d’une bucket list. Le nouveau récit : voyager non pas comme un marathon, mais comme une convalescence, où l’on se soigne plutôt qu’on ne s’épuise.

L’épuisement du « voyage productiviste » (image : dreamstime)

Patient n°2 : l’obsessionnel-compulsif d’Instagram

Le tourisme Instagram, c’est le voyage réduit à une vitrine : l’expérience compte moins que la preuve qu’on l’a vécue. On parle de narcissisme 2.0, ou encore de tourisme performatif : on ne part pas pour voir, mais pour être vu en train de voir.

Profil : notre patient, 18 à 35 ans, prêt à dégainer son smartphone pour tout filmer, vit dans une boucle infinie de selfies. Son langage est fait de hashtags (#wanderlust, #nofilter) et ses symptômes incluent l’usage compulsif du mot « authentique » ainsi qu’une dépendance chronique au compteur de likes. Il est souvent adepte du look « VSCO », cette esthétique douce et pastel popularisée par l’appli du même nom, qui transforme la moindre balançoire à Bali en cliché de magazine.

WTF : il proclame vouloir « vivre l’instant présent » (#YOLO #OneLife) … mais passe deux heures à faire la queue pour ladite balançoire instagramable. Il dit rechercher de la beauté, mais contribue à saturer des lieux fragiles par la seule logique de l’image. Ici, la planète devient un studio photo, les paysages se consomment comme des fonds d’écran, et la durabilité disparaît derrière le flash.

Prescription : un sevrage numérique drastique. On confisque le smartphone, on le remplace par un appareil photo jetable ou un Pola, 27 vues max, pas une de plus. La panique est immédiate mais la guérison suit : l’obsession de la mise en scène cède la place à des souvenirs vécus. Nouveau récit : le voyage comme mémoire intime, partagé autour d’une table plutôt que dans un feed.

Le tourisme comme photocopieuse à images (photo : Hervé Théry)

Patient n°3 : le TDAH du voyage (Fast Travel)

Le Fast Travel, c’est la déclinaison touristique du TDAH : tout voir, tout de suite, sans jamais s’arrêter.

Profil : consultant pressé, étudiant Erasmus survolté ou famille sur-organisée, ce patient vit ses vacances comme un tableur Excel. Dix villes en cinq jours, trois musées en une matinée et zéro pause café. Incapable de tenir en place, il optimise chaque trajet comme un PowerPoint animé.

WTF : dans sa logique consumériste, « voyager » revient à produire du kilomètre. Résultat : il traverse le Colisée en trottinette parce qu’il lui reste encore trois TikTok à tourner et une pizza à avaler avant l’avion. Il consomme les lieux comme des produits, accumule les kilomètres et gonfle son empreinte carbone, mais ne garde que des souvenirs flous.

Prescription : une exposition lente, quasi expérimentale. Trois heures obligatoires face à une église fermée, sans Wi-Fi, ni notifications. Le récit alternatif ? Transformer le voyage en décélération volontaire : explorer deux rues plutôt que douze capitales, et se vanter non pas d’avoir tout vu, mais d’avoir pris le temps de comprendre.

La frénésie logistique et l’impossibilité de s’arrêter (trouvé sur Pinterest)

Patient n°4 : l’obèse événementiel

Le tourisme XXL, c’est le culte du gigantisme : croisières, festivals, parcs à thème, tout doit être hors normes pour être considéré comme de « vraies » vacances.

Profil : ici, on accueille familles en quête de divertissement massif, couples retraités séduits par les croisières « tour du monde en 90 jours », ou groupes d’amis attirés par le « plus grand festival du continent ». Leur ADN touristique : si ce n’est pas monumental, ce n’est pas intéressant.

WTF : le paradoxe est savoureux. Ils disent voyager pour « découvrir le monde », mais passent 90 % du temps à bord d’un paquebot qui crache autant de CO₂ qu’une petite ville. Ils prétendent vouloir « se reconnecter à la nature » en assistant à un festival de drones sous 45°C, ventilateurs géants à fond. Le monde devient une scène géante où tout est spectacle, sauf le vrai quotidien.

Prescription : passer en micro-dose culturelle. Échanger la croisière contre un concert de village, le festival XXL contre une soirée autour d’un marché artisanal. Le récit alternatif ? « Le minuscule est magique » : redécouvrir que l’authenticité se niche dans les formats intimes, pas dans la démesure.

Le tourisme XXL qui dénature les lieux (méga paquebot Iron of the seas, illustration : Royal Caribbean)

Patient n°5 : le faux lâcher-prise

Le faux lâcher-prise, c’est le paradoxe du touriste qui clame vouloir se déconnecter, mais ne lâche jamais son téléphone.

Profil : trentenaire urbain, cadre sup’ au bord du burn-out, abonné aux retraites « digital detox » et aux voyages spirituels de luxe. Il veut méditer, mais seulement si c’est instagrammable. Ses symptômes ? Incapacité chronique à couper, dépendance aux applis même en pleine séance de yoga, et obsession de la zénitude comme produit de consommation.

WTF : il prétend se « ressourcer », mais transforme le silence en contenu marketing. Le OM devient une story sponsorisée, le yoga une séance de fitness collectif sous drones. Ici, le tourisme spirituel se vide de son sens et sature en carbone : quand la quête intérieure passe par trois vols long-courriers, il y a un souci.

Prescription : un traitement radical, mais simple : 24h sans Wi-Fi. Le sevrage est rude (sueurs froides, tremblements, hallucinations de notifications), mais la guérison est spectaculaire : redécouvrir que le silence, l’ennui et l’absence de like sont les vraies formes de lâcher-prise. Le récit alternatif ? « Le luxe, c’est l’ennui choisi. »

La spiritualité transformée en produit marketing (montage : Istockphoto)

Patient n°6 : l’éco-anxieux compensatoire

L’éco-anxieux compensatoire, c’est celui qui multiplie les voyages mais apaise sa culpabilité en « postant vert » (paye ta dissonance et ton dénialisme)

Profil : souvent jeune, diplômé, engagé dans ses discours, ce patient se dit « carbon neutral » depuis 2024, grâce à un arbre planté en ligne. Il choisit des écolodges… en béton avec jacuzzi chauffé au fioul, et s’affiche avec sa gourde réutilisable à l’aéroport avant d’embarquer pour son 12ᵉ vol de l’année.

WTF : il veut sauver la planète, mais son mode de vie raconte l’inverse. Derrière le vernis vert, on retrouve une consommation classique, un tourisme carboné maquillé en durable. L’écologie devient cosmétique, le greenwashing se fait lifestyle.

Prescription : changer de récit, du « voyager beaucoup mais compenser » au « voyager moins mais sincère ». Accepter qu’une escapade locale, un pique-nique à 30 km, ou un week-end en train ont autant de valeur qu’un safari justifié par un arbre virtuel. Le nouveau récit ? « Moins, mais vrai. »

Cas extrêmes : psychiatrie du voyage

Quand on pousse les portes de l’aile psychiatrique, on découvre les spécimens les plus déroutants.

  • Le touriste zombie, adepte du city-break express : partir vendredi soir, rentrer dimanche à 6h, ne rien voir mais poster 200 stories.
  • Le voyageur Pokémon, obsédé par « tout cocher » comme si le monde était un jeu vidéo de capture : Machu Picchu, Angkor, Times Square.
  • Le syndrome IKEA, qui réduit le globe à un catalogue de cases à valider.
  • Et enfin, les vacances mindfulness paradoxales, où l’on cherche la paix intérieure à Ibiza au milieu de 300 yogis et d’une sono à 120 décibels.

Ici, le WTF n’a même plus besoin de commentaire : c’est l’absurde porté à son paroxysme.

Prescription générale : débrancher. Accepter qu’un voyage n’est pas une performance, ni une compétition. Le récit alternatif : « moins d’objectifs, plus d’expériences. »

Carte du monde à gratter pour les pays « qu’on a fait » (Maison du monde)

Thérapie collective : le pronostic vital du touriste

Après analyse des dossiers, une chose est claire : le touriste contemporain n’est pas un cas désespéré, mais un patient attachant, fragile et profondément contradictoire. Il veut tout voir, tout faire, tout poster, tout compenser.

Résultat : hyperactivité, boulimie d’images, incohérences écolos, crises d’égo sur les réseaux.

Le diagnostic global ? Syndrome du capitalisme en vacances, avec complications climatiques.

Bonne nouvelle : le pronostic vital n’est pas engagé. Le touriste peut guérir, à condition d’accepter une thérapie collective.

Ordonnance du psy du voyage :

  • voyager moins,
  • voyager plus longtemps,
  • voyager autrement.

Et surtout : accepter qu’un souvenir puisse exister sans être filmé en 4K ni transformé en hashtag.

(illustration : Aurel)

Pistes vertueuses

  • Retour aux bases : un pique-nique à 30 km peut être aussi dépaysant qu’un rooftop à Bangkok. Bonus : zéro jet lag, zéro dette carbone.
  • Micro-aventures : marcher, pédaler, prendre le train. Moins sexy que l’avion low cost, mais ça permet de voir autre chose que des duty-free.
  • Tourisme solidaire : se souvenir qu’un voyage, ce n’est pas seulement des paysages, mais une grand-mère qui explique sa recette, un pêcheur qui raconte sa galère, un voisin qui prête son vieux vélo rouillé. Ça, aucun algorithme ne le livre.
  • Réenchanter la lenteur : oser s’ennuyer, ne rien poster pendant 48h. Le monde continue de tourner, promis.
  • Le pari optimiste : si les touristes sont assez fous pour attendre deux heures pour un selfie à Bali, ils peuvent aussi être assez fous pour inventer de nouvelles façons de voyager durable. Tout est une question de récit.

Et vous, acteur.rices du tourisme ? Touristes ? Vous avez des perles à nous partager ?

Ressources

  • @travelcomedyy : ce compte se présente comme un coin d’humour dédié aux voyages. Avec ses publications satiriques, il double comme une capsule anti-FOMO. Parfait pour illustrer les dérives #FastTravel et #Influencermania.
  • @slowtravelstory : c’est tout l’inverse : le slow travel incarné. Idéal pour contrebalancer l’obsession du « toujours plus ».
  • @honest.trip : Insta d’un slow traveler sincère : pas de chichis, des paysages et des expériences authentiques… sans les filtres trop parfaits.
  • @chloejadetravels – Gaming posture “je critique tout pour avoir des vues”. Satire franche du touriste déconnecté, parfait pour illustrer l’excès du jugement ou l’ironie de #travelreviews.
EST-CE QUE LES HÉTÉROSEXUELS VONT BIEN ? – le musical

Suivre Maël Coutand, alias Le Tréma qui s’interroge et s’inquiète « est-ce que les hétérosexuels vont bien ».


Est-ce que les touristes vont bien ? Psychanalyse humoristique du voyage contemporain | ©VOYAGEONS AUTREMENT
Par Caroline Le Roy
Bretonne et fière de l'être, j'ai toujours été sensible aux enjeux du développement durable tant dans mon bénévolat associatif que sur mon rapport à la nature. J'ai pu évoluer dans le réseau des parcs naturels régionaux où j'ai eu la chance d'accompagner des acteurs touristiques du changement. Ma sensibilité a rapidement évolué en engagement puis en militantisme. Mon défi professionnel est de développer un tourisme respectueux de la planète et des hommes grâce à l'accompagnement et le conseil aux professionnels sur les nouvelles tendances touristiques et sur les attentes des clientèles toujours plus exigeantes. Enfin je souhaite faire prendre conscience d'une conciliation possible entre transition environnementale et besoin client appliquée au tourisme et au quotidien. Je suis actuellement en préparation d'une thèse doctorale sur le vaste (mais non moins passionnant) sujet de la performance environnementale du tourisme.
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