Gouffre énergétique, l’IA a besoin de toute urgence d’être mieux comprise et mieux expliquée à tous les utilisateurs
Thèmatique : Éducation Ingénierie Initiative nationale Innovation Institutionnel
Dans l’optique du sommet mondial sur l’intelligence artificielle prévu en février 2025 à Paris qui vise à instaurer une gouvernance internationale pour encadrer les développements et usages de l’IA, le 4 décembre dernier, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a tenu une conférence de presse au Sénat pour dévoiler un rapport complémentaire intitulé « ChatGPT, et après ? Bilan et perspectives de l’intelligence artificielle ». Objectif : évaluer les impacts de la révolution des IA génératives et dessiner les contours d’une gouvernance mondiale et nationale pour éviter les effets pervers de ces nouvelles technologies. Parmi les nombreux points saillants, le gouffre énergétique que représente l’utilisation de l’IA, qui se développe plus rapidement que les énergies renouvelables. Un véritable défi qui nécessite aussi d’être mieux compris et mieux expliqué aux jeunes générations et à l’ensemble des citoyens !
Repenser l’efficacité des IA au regard du coût énergétique
Les auteurs du rapport, le sénateur Patrick Chaize (LR), la sénatrice Corinne Narassiguin (PS) et le député Alexandre Sabatou (RN) ont d’abord planté le décor historique et technologique. « L’IA, bien qu’omniprésente aujourd’hui, n’est pas une nouveauté : les systèmes symboliques (reposant sur des règles logiques) ont laissé place, depuis 2010, à des approches connexionnistes comme l’apprentissage profond (deep learning). Grâce à des avancées comme les architectures Transformers, à l’origine de modèles linguistiques géants (LLM) tels que ChatGPT, ou des outils de génération d’images et de sons, l’IA s’est imposée comme un levier de transformation majeur. Des progrès rapides rendus possibles par trois éléments clés : la mobilisation de nouveaux algorithmes, l’accès à d’énormes volumes de données disponibles sur Internet, et des capacités de calcul démultipliées. » Cependant, ces nombreuses avancées ne sont pas sans poser de questions et s’accompagnent de défis majeurs. Les IA actuelles souffrent d’erreurs fréquentes – les fameuses « hallucinations » – et de biais parfois marqués, soulignant leur opacité et soulevant des interrogations sur leur explicabilité. Une efficacité liée à un développement effréné qu’il va falloir repenser au regard des coûts énergétiques et environnementaux colossaux que représente l’IA.
Des enjeux géopolitiques et économiques cruciaux pour ne pas perdre la main
Sans surprise, le rapport souligne la domination de l’IA par les États-Unis avec des géants comme Google ou Meta mais pointe aussi l’ambition de la Chine de devenir leader d’ici 2030. Quid de l’Europe ? Certes, des IA ont été développées par des pays de l’UE (Mistral AI en France, Aleph Alpha en Allemagne…) ou au niveau européen (Bloom) mais l’Europe peine à suivre le rythme, notamment à cause d’une souveraineté numérique encore fragile, de l’insuffisance des financements et d’une dépendance accrue à des infrastructures étrangères. Or les enjeux sont nombreux, pas tant pour devenir leader, ce qui est irréalisable à ce jour (et antinomique), mais pour protéger une diversité culturelle face à une uniformisation cognitive induite par des IA anglo-saxonnes. Par exemple, des modèles entraînés uniquement sur des bases de données anglophones pourraient éroder la richesse des langues comme le français. En ce sens, le rapport de l’OPECST propose 18 recommandations pour aller vers une AI souveraine et responsable à l’échelle de la France ou de l’Europe.
Dix-huit recommandations incluant le volet énergétique
Si l’idée de cet article n’est pas de citer l’ensemble des recommandations qui incluent de nombreux champs, il est à noter que sur le volet énergétique qui nous intéresse ici, le rapport préconise une IA frugale et durable, soit le développement de modèles moins énergivores, capables de fonctionner avec des infrastructures et des ressources réduites, afin de minimiser l’empreinte environnementale. En cela, l’idée serait d’intégrer la réduction de l’empreinte énergétique dans les politiques publiques en évaluant systématiquement l’impact écologique des projets d’IA, depuis leur conception jusqu’à leur déploiement ; mais aussi de favoriser l’innovation pour des systèmes d’IA bien dimensionnés, soit encourager le recours à des modèles adaptés aux besoins spécifiques, comme les petites IA, afin d’éviter le gaspillage de ressources énergétiques. Quand on sait combien l’IA et particulièrement les modèles génératifs comme les LLM, nécessite une énergie considérable tout au long de son cycle de vie (mobilisation massive de ressources pour collecter, nettoyer et traiter des données, et entraîner des modèles sur des supercalculateurs ; utilisation d’infrastructures lourdes -centres de données, cloud computing- pour le déploiement et les interactions quotidiennes), ces deux points sont cruciaux.
L’importance de l’éducation pour expliquer l’urgence de ces enjeux
Evidemment, au-delà de la question environnementale, le rapport détaille bien d’autres enjeux dont l’importance de préserver la diversité culturelle face au danger d’uniformisation de l’IA, l’urgence à encadrer les créations artistiques et de protéger les droits des artistes (quid de la propriété intellectuelle avec l’IA), la place et le positionnement de tout un chacun face à l’IA (souveraineté nationale, etc.). Toutefois, une chose est sûre pour l’heure, il y a urgence. Urgence à former tous les publics à l’IA et à intégrer l’éducation au numérique et à l’IA dans les programmes scolaires, dans l’enseignement supérieur, et pour les actifs, afin de préparer les citoyens aux défis de cette révolution technologique (point du rapport). Urgence à soutenir la recherche académique et interdisciplinaire et à développer une filière française d’excellence pour former des chercheurs et des ingénieurs, tout en encourageant des échanges entre la recherche fondamentale et les applications industrielles (autre point du rapport). Enfin, urgence à sensibiliser les jeunes générations et à les initier dès le plus jeune âge à une réflexion sur les impacts sociétaux et éthiques de l’IA pour en faire des citoyens éclairés et critiques face à cette technologie. Sur ce point précis, également présent dans les 18 recommandations, des messages tout simples peuvent d’ores et déjà imaginés quand on sait combien l’utilisation de ChatGPT au quotidien peut parfois être démesuré là où une simple recherche google suffirait. Pourquoi rouler en 4X4 là où un simple vélo suffit ?
En guise de conclusion
S’il faut reconnaitre qu’à l’aube du prochain sommet mondial sur l’intelligence artificielle, ce rapport marque une étape clé dans la réflexion sur l’IA en France et en Europe, il reste fondamental de continuer à informer et surtout, d’inciter à des actions fortes et rapides. Tout va très vite avec l’IA et l’on sait qu’au vu de la rapidité du changement climatique, il y a urgence. Pour seul exemple, entraîner un modèle de la taille de GPT-3 peut consommer plusieurs centaines de milliers de kilowattheures, l’équivalent de l’énergie utilisée par des centaines de foyers sur une année. Et c’est sans compter la fabrication des composants électroniques, comme les puces et les processeurs, la gestion des infrastructures de calcul, notamment les centres de données, qui représentent déjà environ 1 % de la consommation énergétique mondiale et donc les ressources utilisées pour l’entraînement et l’exécution des modèles. Selon certaines estimations, le secteur numérique dans son ensemble, dont l’IA est une composante croissante, pourrait représenter jusqu’à 4 % des émissions mondiales de CO2, soit davantage que le secteur aérien. Une véritable matière à réfléchir, et à agir !!
———– Aller plus loin ————–
Dossier de presse est en ligne : ChatGPT, et après ? Bilan et perspectives de l’intelligence artificielle | Sénat
A noter : sur le volet éducatif, le modèle finlandais est souvent évoqué qui propose d’ores et déjà des programmes de formations innovants, tels que le cours en ligne Elements of AI, qui vise à démystifier l’intelligence artificielle tout en favorisant son appropriation par le plus grand nombre.
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Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Radio France, Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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