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De Martin Edström à Inoxtag : récit d’un Everest qui sature

Tandis que le jeune YouTubeur Inoxtag sort tout juste son film Kaizen autour de l’ascension de l’Everest, le photographe et explorateur Martin Edström rappelle que les lieux étouffent sous l’affluence des touristes. Dans sa série de photos intitulée « Everest Trash », il révèle les coulisses de cette industrie touristique et égocentrée galopante qui grignote, lentement mais sûrement, les montagnes de l’Himalaya.

L’Everest, une destination fantasmée par de nombreux alpinistes… et amateurs.

Gravir l’Everest : la nouvelle lubie des plus riches en mal de sensations ?

Ce n’est pas nouveau, mais c’est de pire en pire : dans une société qui prône le dépassement de soi, le bien-être personnel et le challenge narcissique, aller « s’auto-défier » à l’autre bout du monde est plus que jamais hype. Tu veux tester tes limites et prouver de quoi tu es capable ? Gravis l’Everest ! Autrefois métaphore, « gravir son Everest » est désormais pris au pied de la lettre. Monter son entreprise, construire sa propre maison ou simplement se sortir d’une situation complexe ne suffit plus. Il faut maintenant enfiler des chaussures d’alpinisme, prendre l’avion, et faire son selfie une fois arrivé au sommet pour pouvoir prouver à qui veut l’entendre : « je l’ai fait ! »

Un comportement exacerbé par la sortie du film du jeune YouTubeur Inoxtag, 22 ans. Après avoir passé un an à s’entraîner aux côtés d’un alpiniste professionnel, le jeune homme prouve, à travers Kaizen, que tout le monde peut gravir l’Everest avec un minimum de préparation. Certes. Mais s’est-il posé la question de savoir si c’était une bonne idée ? Veut-il réellement que tout le monde parte à la conquête de l’Everest, alors que l’Himalaya étouffe sous la pression touristique ?…

Le YouTubeur Inoxtag à la poursuite du plus haut sommet du Monde @Instagram Inoxtag

Si l’intention de départ est louable (« je suis jeune et j’ai envie de me dépasser »), comment ne pas regretter que le sujet choisi soit la valorisation d’une destination déjà victime de son succès ? Bien que sympathique et déterminé, le jeune Inoxtag ne semble pas réaliser qu’il promeut le challenge personnel au détriment de l’intérêt général – et sans la valorisation que mériteraient les sherpas, qui exercent ce métier à risque pour nourrir leur famille. Une mission humanitaire, de sauvegarde de la biodiversité ou de préservation d’une espèce animale aurait été tout aussi méritante, en plus de tracer une belle route à suivre pour ses – nombreux – jeunes abonnés (Kaizen dépasse les 20 millions de vues à l’heure où nous rédigeons)…

Dans l’Equipe, l’alpiniste et photographe Pascal Tournaire dénonce ce narcissisme qui écrase toute potentielle visibilité d’un message tourné vers la préservation des lieux : « L’Everest, c’est le Mont Saint-Michel à 8 800 m, Inoxtag dénonce bien cette surfréquentation mais il y participe aussi, c’est schizophrène, regrette-t-il. Oui, les images sont magnifiques et l’envie du jeune YouTubeur est contagieuse, mais quel dommage que l’écologie soit la grande absente d’un film qui aurait pu se mouvoir en plaidoyer. La bonne nouvelle ? Tout le monde n’a pas 50.000€ à dépenser pour aller gravir le sommet du Monde !

Comment l’Himalaya est devenu une déchetterie à ciel ouvert

Des siècles durant, le plus haut sommet du Monde est resté quasiment vierge de toute visite humaine. Les seuls à s’être installés en altitude étaient des moines tibétains, qui ont vu, à l’échelle de quelques décennies, leur environnement changer radicalement.

Les moines tibétains, premiers témoins de l’explosion du tourisme en Himalaya ©Martin Edström

La première ascension du sommet de l’Everest date en effet de 1953, par les alpinistes Edmund Hillary et Tenzing Norgay. Avant cela, les seuls déchets issus d’une activité humaine étaient ceux des moines : biodégradables, ils disparaissaient au fur et à mesure du temps et du climat. Mais en l’espace d’un demi-siècle, les lieux se sont transformés en usine à tourisme : aujourd’hui, plus de 60.000 visiteurs se rendent dans l’Himalaya chaque année. La production de déchets s’est accrue de façon proportionnelle. Or, comment traiter cet amas soudain de tonnes de détritus plastiques ou métalliques quand les habitants des villages environnants peinent eux-mêmes à trier leurs déchets ?

Martin Edström au milieu d’une décharge à ciel ouvert ©Martin Edström

Photographe globe-trotter, Martin Edström travaille pour National Geographic et fait partie des pionniers du journalisme immersif. Depuis 2011, il s’implique dans le traitement des déchets autour de l’Himalaya, et participe à la mise en lumière de ce problème lié au sur-tourisme par le biais de ses photographies. Intitulée Everest Trash, l’une de ses dernières séries photo immortalise le monceau de déchets accumulés autour du plus haut sommet du Monde. Un désastre pour la nature et les populations locales, lié à un tourisme en augmentation constante et non maîtrisé.

Des solutions pour un Everest respirable ?

Martin Edström, à travers ses clichés, évoque le « côté obscur » de l’ascension de l’Everest : celui que les agences de trek se gardent bien de montrer, et qui passe loin derrière les exploits personnels de visiteurs privilégiés. Le photographe rappelle que sur les 50 à 60.000 touristes réalisant le voyage chaque année, il faut ajouter à cela les personnes qui les accompagnent (guides, sherpas). Une accumulation de monde synonyme d’une accumulation de déchets dans des lieux difficiles d’accès et une région où le recyclage est loin d’être aussi développé qu’en nos contrées ! Le journaliste suédois évoque le chiffre de 50 tonnes de déchets par an, faisant de l’Everest l’un des plus grands dépotoirs au monde…

Triste image que celle d’un lieu de fantasme devenu dépotoir… © Martin Edström

Sur place, quelques associations et ONG tentent de s’emparer du problème. Des efforts qui redonnent un peu d’espoir, mais restent anecdotiques face à l’ampleur de la catastrophe. Martin Edström lui-même s’est impliqué dans le projet Saving Mount Everest, en partenariat avec l’ONG Sagarmatha Next, qui tente d’offrir à l’Himalaya un futur un peu plus durable…

Parmi les solutions mises en place, le projet Carry Me Back, qui consiste à encourager les touristes et alpinistes à ramasser leurs déchets et à les déposer dans des points de collecte. Des sacs adaptés sont distribués aux grimpeurs dans la ville de Namche, au pied de l’Everest. Les déchets récupérés entrent ensuite dans un processus de tri puis de recyclage approprié. « Ajoutez 1 kilo à votre sac rempli de souvenirs » : un poids gérable pour les touristes, et qui permet de réduire la quantité de ceux perdus dans la nature… Une initiative plus que méritante, mais qu’il faudrait absolument développer sur tous les points de départ de l’ascension. Car, au-delà du geste, il s’agit d’un rappel nécessaire de bonne conduite et de respect des lieux visités !

Le projet Carry Me Back vise à réduire les déchets à la source, avec l’aide des touristes.

Résoudre le désengorgement de l’Everest et la réduction des déchets qui abîment ce lieu unique au monde tiennent toutefois à une seule véritable solution : réduire le nombre de visiteurs. Il existe un nombre incalculable de montagnes à gravir et de défis à relever pour les alpinistes en herbe : autant de possibilités de ne pas participer à l’érosion précipitée d’un site qui mérite plus que jamais d’être préservé !


De Martin Edström à Inoxtag : récit d’un Everest qui sature | ©VOYAGEONS AUTREMENT
Par Mélusine Lau

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