Dialogues de l’ATES : Le tourisme équitable peut-il croître dans un monde aux limites finies ?
Thèmatique : Acteur associatif Initiative nationale Innovation Projet solidaire Tourisme et handicap
Le tourisme équitable et solidaire devra-t-il un jour mener sa propre révolution et prôner la décroissance de ses offres pour en inspirer d’autres ? Si la part réelle de ce micro-secteur en termes de marché reste extrêmement réduite, sa part symbolique est bien plus étendue. A la fois pionnier de démarches engagées et véritable laboratoire d’expérimentations sociales et solidaires, ses acteurs réunis sous la bannière de l’ATES (Association du tourisme équitable et solidaire) ont souvent été aux avant-postes des initiatives pour un tourisme plus juste. A l’heure où les lunettes environnementales représentent à la fois un frein et un dilemme pour une activité qui marche sur trois jambes, les Dialogues du Tourisme Equitable réunissaient le 15 novembre dernier un panel de professionnels du tourisme accompagnés de chercheurs, militants, associatifs pour échanger sur le futur des voyages les plus lointains.

Les questionnements de l’ATES
Il fut un temps où il était plus facile d’être à l’ATES, cette association née au début des années 2000 dans l’élan du commerce équitable et réunissant des membres associatifs dont la raison d’être, avant même le voyage, reste avant tout l’utilité sociale, la solidarité internationale, le bien être des territoires visités, en petits groupes, avec toujours une part de bénéfices dédiés à des projets de développement. Bref, pour le dire de façon simple, à l’ATES, le tourisme n’a jamais été considéré comme un « marché » ou une « industrie » mais plutôt comme un levier de développement pour des territoires partenaires alliés parfois à d’autres activités éducatives ou culturelles. Plus de 20 ans ont passé, l’ATES est toujours là mais le monde a changé. La solidarité Nord-Sud se heurte à présent de plein fouet aux défis du changement climatique et à l’incertitude d’un monde de plus en plus instable. Lancé début 2020, le Label France a été une première réponse, l’idée de montrer que face à l’urgence climatique, il était possible de voyager à côté de chez soi avec des offres vérifiées qui bénéficient aux territoires. Mais quid des partenaires de l’autre bout de la planète avec lesquels l’ATES a toujours travaillé de concert mais qu’il sera difficile de rejoindre à bicyclette ?
Lors de l’introduction des Dialogues du Tourisme Equitable, Coralie Marti a rappelé les valeurs et engagements de l’ATES qu’elle dirige, reprécisé les dernières directions prises mais aussi, les remises en question, le désarroi de certains de ses membres, sans oublier les convictions qui restent tel le refus du piège de la « compensation carbone ». Alors, sur le front du climat, l’ATES a fait le choix d’un partenariat avec le GERES (ONG de Solidarité Climatique), poursuit sa contribution au fond de développement du commerce équitable mais aussi, depuis 2023, en lien avec l’ADEME, procède à l’estimation des GES de ses équipes salariés et de ses voyageurs avec un ratio des émissions/journée visant à encourager l’allongement des séjours. Une prise en compte de l’urgence climatique qui se double toutefois d’un deuxième ratio concernant les retombées économiques locales, façon de rappeler que les lunettes environnementales ne doivent pas masquer les effets positifs directs du tourisme solidaire sur les populations locales d’autant qu’au-delà de l’économique, il y a d’autres bénéfices plus complexes à calculer tel le renforcement des organisations, le changement des comportements, l’échange, le partage, le désenclavement, etc.

Les effets positifs du tourisme suffisent-ils pour envisager de partir à l’autre bout du monde ?
Faudra-t-il un jour se résoudre à proposer moins de voyages ? Cette question de Bernard Schéou (Chercheur en Sciences économiques et tourisme) ouvrant la première table ronde des Dialogues de l’ATES pourrait presque faire sourire quand on sait que ses membres représentent une fraction infinitésimale de l’industrie touristique. Mais on l’a déjà dit, l’important n’est pas tant le nombre que l’intention et la portée symbolique de la démarche. Et si l’interrogation est frontale, elle a le mérite de poser de façon claire la question de la décroissance dans le tourisme. Certes, il est couramment admis dans les réseaux du tourisme durable qu’il va falloir diminuer ses longs et moyens courrier et donc voyager moins souvent vers des destinations lointaines quitte à y rester plus longtemps mais le nombre de vols recommandés fait débat. Pas de vol du tout pour Greta Thunberg et les adeptes de Flygskam, un vol tous les vingt ans pour le Shift Project (4 vols sur une vie), tous les cinq ans d’après Greenpeace, qui vient aussi de sortir un rapport sur le sujet. L’avion, l’épine dans le pied de tout un secteur qui ne sait plus à quelle solution se vouer quand dans le même temps, à l’autre bout du monde, de nombreuses personnes vivent du tourisme et espèrent les voyageurs. Bernard Schéou : « Si on arrête de voyager de manière éthique, on pourrait perdre certaines ouvertures, certaines cultures. La décroissance peut-elle être porteuse de promesses ? Il faut transformer les contraintes en évolutions favorables et apprendre à innover, à changer, à apporter des alternatives aux modèles dominants d’aujourd’hui. Le tourisme équitable et solidaire peut offrir cette alternative. »
Des alternatives qui restent toutefois compliquées à imaginer tant l’équation est complexe entre des voyages lointains forcément gourmands en GES et des populations locales qui s’étaient habitués à ces arrivées régulières de voyageurs de l’autre bout du monde. Que faire ? Réduire tout en maximisant le partage de la valeur ? Remettre en question l’offre actuelle ? Présents autour de Bernard Schéou, un ensemble d’acteurs engagés qui tentent de mettre un peu de sens à une problématique de plus en plus schizophrène. Représentante du réseau Stay Grounded (Rester sur Terre en France) et du PAD (Pensons l’Aéronautique de Demain), Charlène Fleury n’a pas manqué de rappeler qu’1% de la population mondiale est responsable de 50% des GES de l’aviation quand 80% de la population n’a jamais mis les pieds dans un avion. « On sait que les solutions technologiques ne seront pas suffisantes pour décarboner l’avion à l’heure actuelle donc la seule issue reste la régulation du trafic. » Et d’ajouter, réguler, décroitre, c’est une question taboue dans l’aérien, l’est-ce aussi dans le tourisme ? Pas forcément d’après Jean-Christophe Guérin (Vie Sauvage & Fika Voyages) qui a engagé son entreprise dans un plan de décarbonation en proposant de plus en plus de voyages sans avion. Son objectif : réduire de 5% par an jusqu’à 2034, soit de 56 % en tout. « On a besoin de trouver d’autres moyens de générer notre activité commerciale avec moins d’avions mais il faut aussi s’interroger sur les équipes locales, comment s’est reçu sur place, prendre plus d’engagements d’utilités sociales et économiques. »
Directeur de Guayapi &EcoLankaA (membre associé de l’ATES), un projet écotouristique au Sri Lanka, Bastien Beaufort fait partie du mouvement Décroissant mais affiche une vision façonnée par la solidarité internationale. Son objectif : dépasser le localisme et le frein climat pour ne pas perdre de vue toutes les initiatives en faveur de la biodiversité qui ont besoin d’être soutenues dans le monde. « Comment travailler pour préserver des territoires qui sont des banques génétiques pour la planète ? » Pour lui, le prisme économique doit rester déterminant en ce qu’il permet de bâtir des alliances avec des communautés autochtones afin de préserver et régénérer le vivant. Membre actif de l’ATES, Patrick Wasserman (Rencontres au bout du monde) porte toute la complexité du dilemme dans le nom même de son entreprise. « On a tous conscience du problème mais ce qui est important, c’est d’être dans une recherche de solutions positives. » Tout est alors peut être question de nuance, comme le précise Julie Stoll (Commerce Equitable France) qui revient d’un voyage au Maroc avec Vision du Monde (autre membre de l’ATES), et qui pense que l’important reste de discerner ce qui doit croitre de ce qui doit décroitre, allusion claire à des formes de tourisme forcément moins vertueuses et plus massives que chez l’ATES.

Tous les vols se valent-ils ?
Décroitre, réduire, mais sérier, privilégier, trier ? Quand Bernard Schéou pose la question de la « valeur » des vols, il renvoie non seulement à l’utilité social du voyage, mais aussi à la problématique des vols courts, cette fameuse aberration des low-costs que les coûts toujours plus élevés du train (une double aberration écologique et politique !) n’aident pas à réduire. Il y a donc la question des vols courts que l’on pourrait remplacer par des transports moins carbonés, mais aussi la question des vols plus lointains où se joue alors la question de l’utilité sociale du voyage. A qui profite-t-il ? Qui peut (ou pas) partir ? Comment accompagner les habitués du voyage à réduire leurs déplacements longs ? Comment rendre l’offre locale plus attractive ? Plus exotique ? Comment retravailler l’imaginaire du voyage pour que le dépaysement ne passe pas forcément par la distance ? La France ne comprend-t-elle pas un microcosme de paysages et de patrimoine dans le macrocosme du monde ? Voyager moins mais mieux ? Faire du tourisme équitable et solidaire le modèle dominant ? Faire du mieux avec moins ? Un vol par vie, quatre ? Cinq ? Plus ? Une loterie de billets avec 100 000 billets par an pour ouvrir le voyage à tous ? Un passeport carbone généralisé ? Partir moins et former les équipes locales à investir dans des activités annexes ? Les préparer à accueillir plus de voyageurs nationaux ? Stimuler le tourisme local quand c’est possible ? Est-ce seulement possible ? Les pistes évoquées lors de Dialogues du Tourisme Equitable ont rejoint bien des idées qui infusent depuis quelques années tant la question de l’aérien complexifie la donne voyageuse. Le dernier mot sera peut-être alors au bon sens, qui veut qu’il n’y ait jamais Une solution mais un ensemble de faisceaux et d’engagements, doublés de l’incertitude d’un monde qui nous réserve sûrement encore bien des surprises. Espérons qu’elles soient bonnes…

——- Aller plus loin ————————–
Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Radio France, Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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