#TourismeDurable
montagnes Style Hokusai

Réinventer (vraiment) le tourisme !

| Publié le 13 juin 2023
             

S’il est bien une expression qui a été répétée tel un mantra pendant toute la crise du covid, c’est bien « réinventer le tourisme ». Que ce soit au sein des professionnels du secteur, chez les institutionnels, dans la presse, et partout ailleurs, tout était alors à réinventer, la gestion de l’offre, de la demande, la mobilité voyageuse, la saisonnalité, les flux, la façon d’appréhender les vacances, les littoraux saturés, la montagne exsangue, le ciel quadrillé et la terre épuisée. Bref, le covid avait sonné l’alarme. Pas question de repartir comme avant. Deux années ont passé. Le revenge tourism bat son plein. Compagnies aériennes et voyagistes se frottent les mains, et Rémy Knafou, chercheur en tourisme et professeur émérite à Paris 1, sort un ouvrage taquin (ou las ?) en écho à un premier ouvrage*, « Réinventer (vraiment) le tourisme ! »

Au-delà du constat et du retour en arrière historique pour tenter de comprendre comment nous en sommes arrivés là, le grand mérite de cet ouvrage est de proposer de nombreuses pistes et solutions pour s’affranchir d’un modèle touristique qui n’a fait que s’accélérer et qui nous fera foncer dans le mur si on n’entreprend pas d’importants changements de paradigmes. L’ouvrage, forcément, fera grincer des dents et des porte-monnaies, il n’y a qu’à voir, à ce sujet, combien Jean-Marc Jancovici fatigue une grande partie de la profession avec ses quatre vols par vie. Chez Rémy Knafou, le constat est également sans appel. Pour lui, le tourisme durable n’est qu’une goutte d’eau intéressante mais négligeable qui ne pourra pas, à son échelle, changer la face du monde, à l’image de la compensation carbone, « elle échange une dégradation avérée au présent contre une promesse hypothétique d’amélioration dans le futur (…) et n’est pas à l’échelle du problème à résoudre ». A l’image également de son sous-titre : « En finir avec les hypocrisies du tourisme durable » !

Il prône donc des changements conséquents afin qu’advienne « une quatrième révolution touristique » faite de sobriété, de limitations et de changement de comportements : accélérer l’entrée du tourisme dans l’économie circulaire, endiguer les espaces à très forte densité touristique (« Les Baléares : la difficile mise en pratique de la décroissance »), lutter contre la marchandisation des lieux touristiques ou culturels, mieux évaluer toute l’ambiguïté et les contradictions portés par le label Unesco par exemple (« Luang Prabang, les effets du classement »). Eviter aussi les conflits d’intérêt entre des entreprises privés qui se retrouve en position de financer des programmes scientifiques dans des zones fragiles (« Ponant et les scientifique »). La question du tourisme social est aussi abordée, afin que le tourisme soit moins inégalitaire, en replaçant aussi le touriste au cœur du système. La transition climatique est également abordée, qui rejoint d’ailleurs une forme d’inégalité du système, puisqu’on sait « qu’en 2030, l’empreinte carbone des 1% les plus riches de la population mondiale sera 25% plus élevée qu’en 1990, 16 fois plus importante que la moyenne mondiale et 30 fois plus que l’empreinte carbone mondiale par habitant compatible avec l’objectif de 1,5°…. »

Le dernier chapitre de l’ouvrage s’intéresse à ce qui impératif de faire au niveau planétaire, à l’image de la sanctuarisation touristique de l’Antarctique qui a commencé à accueillir des voyageurs depuis quelques années (74 000 en 2019). Rémy Knafou revient aussi sur l’importance de réguler le transport aérien et la croisière pour arriver à décarboner l’industrie touristique. A son sens, seule l’Union européenne pourra avoir autorité en la matière. Il propose aussi de supprimer les lignes aériennes en concurrence avec les transports terrestres (cela commence doucement…), de taxer le kérosène, les billets d’avion, l’aviation privée et d’affaire. Il évoque aussi l’instauration de quotas voyageurs. Sur la croisière, il s’inquiète de la pertinence de ce modèle et de la course au gigantisme de compagnies qui « polluent énormément, non seulement en mer, mais aussi pendant les escales ».

L’ouvrage s’achève par des préconisations argumentées qui reprennent les valeurs du tourisme social, de la sobriété, de la qualité plutôt que du nombre, l’importance de réguler, d’encadrer (les locations touristiques par exemple), d’endiguer et de réguler les flux. Enfin, inspiré de l’expérience personnelle de l’auteur, il est question d’explorer et de favoriser un tourisme réflexif « qui vise à créer une expérience en profondeur de l’ailleurs, porteuse de sens pour celui qui la vit ». » On se saurait qu’abonder à un tel programme, même si on est conscient que la nature humaine n’est pas facile à adapter, à changer, mais déjà des choses bougent, se mettent en mouvement. Certes, il faudra du temps, beaucoup de temps, or le temps presse…

————- Aller plus près —————–

Réinventer (vraiment) le tourisme. En finir avec les hypocrisies du tourisme durable. Rémy Knafou. Editions du Faubourg. Essais. Les Nouveaux possibles. 2023. 13 €


Réinventer (vraiment) le tourisme ! | ©VOYAGEONS AUTREMENT
Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Radio France, Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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