Mille et une roses sauvages
C’est un roman magnifique à la plume acérée que nous livre Feryal Ali-Gauhar, écrivaine pakistanaise qui nous amène dans un hameau isolé du Karakorum, dans les avant-postes reculés du nord du Pakistan où se trouvent les plus hauts glaciers du monde. On y retrouve des villageois vivant dans une grande pauvreté sous le joug de traditions d’un autre temps qui emprisonne les femmes et aveuglent les hommes, jusqu’à ce que la nature et les esprits se déchainent…

Isolés du monde
Le Karakoram est une région inhospitalière du nord-est du Pakistan dont la frontière entre l’Inde et de la Chine en fait aussi une zone stratégique. C’est aussi là que vit Moussa Madad, le Numberdar (chef de village) de Saudukh Das, ainsi que ses trois femmes, dont la plus jeune, Mariam, a à peine 19 ans. Trois femmes mais aussi deux fils morts à la guerre, et une magnifique fille, véritable beauté qu’il lui reste à marier. Trois femmes et autant de destins cruels qui vont se cristalliser autour de plusieurs évènements qui précipitent le village et ses habitants dans une tragédie. Il y a tout d’abord la découverte par Hassan et Nour de cet homme gravement blessé par la chute d’un arbre qu’ils décident de ramener au village. Il y a ensuite ce glissement de terrain qui emporte la route et isole encore plus cette petite communauté qui a certes, quelques moyens modernes pour joindre l’autre monde, mais qui pâtit des coupures de réseau, de cette route bloquée, et de marchandises qui n’arrivent plus. Il y a enfin ces prédictions étranges faites par Lasnik, l’homme-enfant au pardessus trop grand, au bégaiement permanent, et aux visions troublantes.
Une société patriarcale
Dans ce huis clos étouffant, Feryal Ali-Gauhar nous fait sentir le poids des traditions et notamment, combien les femmes sont encore sous le joug des hommes, femme mariée puis délaissée une fois âgée, jeune-fille surveillée, enfermée, incomprise, épouse battue, mère esclave, les femmes ne sont là que pour servir les hommes, assouvir leur désire et leur donner des fils. Malgré cela, quelques personnages masculins convoquent notre sympathie, tel Ibrahim, l’époux de Zarina, l’infirmière, qui n’a eu d’autres choix de s’engager dans l’armée, et qui surveille une frontière, un sommet, accompagné du fidèle Mohammad Zaki et de Malika, chienne-louve dressé au sauvetage en montagne. Une avalanche manquera de les emporter si ce n’est le courage et la loyauté de l’un, l’incroyable bravoure et fidélité de l’autre.
Un univers clos, des hommes et de femmes coupées du monde, une jeune fille enfermée privée de liberté pour avoir reçu une lettre d’amour, et le mystère d’un blessé qui souffre au sein du foyer du Numberdar qui devient le cœur d’un roman où la catastrophe sourd. Etonnamment, Moussa Madad est aussi dur et intransigeant avec celles qui l’entourent, et notamment ses épouses âgées et sa fille enfermée (seule Mariam la jeune épouse trouve grâce à ses yeux mais parce qu’elle est sous sa coupe), qu’il peut être humain et compréhensif avec des êtres plus complexes, voire diminués, tel Lasnik, à la fois simple d’esprit et visionnaire, qu’il protège et élève presque au rang de fils, ces fils qu’il a perdu à la guerre et dont l’absence criante révèle une fois de plus la place prépondérante des hommes.
Enfin, il y a dans ce roman une véritable ode à la nature et aux esprits, que ce soit dans un récit intercalé de visions et de contes, mais aussi dans la progression de l’intrigue, où la montagne, à la fois cruelle, meurtrière et protectrice, rappelle à la communauté que les hommes, tout puissants soient-ils doivent aussi savoir rester à leur place.
Extrait
« Lasknik étendit les bras aussi loin qu’il le pouvait sans cogner le ventre protubérant de Moussa, rond et dur comme un chaudron. Le garçon décrivit la tête du Yatz, une tête plus grosse que le rocher sur lequel les femmes mettaient leur ligne à sécher. C’était un gigantesque Yatz, affamé, qui voulait dévorer la chèvre de Lasnik.
Qu’est ce que je vais faire de cet énergumène, dis-moi ?
Cet homme-enfant nous cause tellement de soucis que tout le village a envie de le balancer dans la rivière. Si seulement ce n’était pas un élu. Mais qu’est ce que ses prophéties ont apporté de bon jusque-là, hein ? D’ailleurs qui arrive à le comprendre ? C’est du charabia, si tu veux mon avis. Ce garçon est incapable d’aligner deux mots, et il serait censé prédire l’avenir ? »
——— Lire————–
Mille et une roses sauvage, Feryal Ali-Gauhar, Roman traduit de l’anglais (Pakistan) par Emmanuelle Guez, Edité par Paulsen. Octobre 2024. 22 €.
Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Radio France, Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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