Anticiper le monde de demain pour mieux répondre aux attentes des touristes
Thèmatique : Acteur privé Initiative régionale Innovation Labels
Lors du dernier salon du tourisme qui s’est tenu à Paris à la mi-mars, l’Association des Journalistes du Tourisme (AJT) organisait une conférence débat animée par Sandrine Mercier, « Nouveaux désirs, nouvelles consciences », afin d’interroger un panel de professionnels du secteur – deux territoires, deux hébergeurs, un opérateur – sur leur évolution face aux attentes de plus en plus complexes de l’homo touristicus contemporain. L’occasion de découvrir et d’échanger avec des acteurs qui tentent de trouver de nouvelles recettes pour chaque jour mieux prendre en compte la complexité d’une demande de plus en plus individualisée.
Les hébergeurs s’adaptent et jouent sur l’expérience et les labels qualités.
« Finalement, c’est nous qui avons inventé le tourisme collaboratif. » Non, ce n’est pas le directeur Airbnb France qui parle, mais Dominique Chilotti, des Gites de France (GDF). Et si les Gites de France existent depuis 1951, comptent à ce jour 47 000 adhérents et 60 000 hébergements en France, ils sont loin de se complaire dans un modèle qui a fait ses preuves et qui, depuis 60 ans, accueille des milliers de vacanciers aux quatre coins du pays. Le plus des Gites, et Dominique Chilotti le martèle bien pour se différencier d’Airbnb qui ces dernières années taquine de plus en plus les hébergeurs, c’est le label de qualité et la reconnaissance des pouvoirs publics. « Nos clients sont de plus en plus exigeants, aujourd’hui, 65% de notre parc est entre 3 et 5 épis, un gage de qualité mais aussi de sécurité. » Alors, Airbnb, certes, mais il y a de la place pour tout le monde. Pourquoi lutter contre l’irrémédiable ? « Dans nos locations, garanties, il n’y a pas de mauvaises surprises. En sus, nous nous adaptons en permanence, par exemple avec le rachat récent de Good Spot, une start-up bretonne, qui permet la mise en relation entre les touristes et des ambassadeurs en régions. » Les Gites de France ont aussi mis en place un observatoire des chambres d’hôtes depuis 2015, afin d’améliorer leurs analyses sur les attentes clientèles.
Même son de cloche au sein du réseau des Camping Qualité, représenté par Karine Farcot, qui explique que la protection de l’environnement ne suffit plus, mais qu’il s’agit aujourd’hui de prendre en compte toute la chaine durable, soit également l’efficacité économique et l’équité sociale. En ce sens, les 472 campings adhérents de la charte Camping Qualité sont contrôlés sur près de 150 critères, car Karine Farcot le précise : « Aujourd’hui on ne vient plus dans un camping, on vient chez quelqu’un, les gens veulent de l’être. C’est aussi pour cela que nous avons mis en place cette démarche qualité qui permet, tous les trois ans, de contrôler la qualité et la fiabilité de nos campings. »
Des territoires créatifs et communicants pour créer du désir et de l’envie.
Directeur de la station de La Grande Motte, Jérôme Arnaud a été placé aux commandes de la station pour changer les regards portés sur une ville où, pendant vingt ans, « on n’a vu que le béton ». De fait, construite au début des années 1960, La Grande Motte a longtemps incarné ces villes nouvelles aménagées dans le cadre du projet Racine conçue pour accueillir les vacanciers forts de leur 3e semaine de congé payé. Or, elle a aujourd’hui fait le choix d’assumer son identité et de renverser les regards longtemps portés sur la mer en promouvant sa singularité et sa vision, et met donc en avant une identité et une offre « culturelles » qu’elle n’aurait pas osé affirmer il y a quelques années. « On a retourné le photographe. », explique Jérôme Arnaud, qui se félicite du label Patrimoine du XXème siècle qui a permis de valoriser l’architecture audacieuse de Jean Balladur. La Grande Motte attire à présent une clientèle plus curieuse, plus sensible au patrimoine, à l’environnement. « Nous avons totalement réinterprété la ville en organisant de nombreuses expositions d’art contemporain, en invitant des photographes connues comme Maia Flor, des couturiers des designers. Notre projet 2017, par exemple, sera d’amener le design à la plage. »
Directrice du CDT du Pas de Calais et de la Mission départementale du Louvre-Lens, Diana Hounslow a du également faire preuve d’enthousiasme et de créativité pour changer l’image d’un territoire que l’on associe systématiquement aux mornes plaines du nord, à la désertification du bassin minier voire à la grisaille du ciel. Et pourtant, malgré l’image terrible de la destination, elle a su allier imagination et humour pour affirmer l’identité d’un territoire plébiscité par ses habitants. Outre une étude locale visant à demander aux locaux « Comment vivez-vous le département ? », elle a créé un réseau de greeters, en valorisant le formidable vivier culturel qu’est justement ce bassin miniers qui regroupe Marocains, Italiens, Polonais, avec pour chacun leurs lots de fêtes et traditions. Elle s’est également appuyée sur une consultante néerlandaise Lidewij Edelkoort (Studio Edelkoort), une chercheuse de tendances, qui a édité cinq « Carnets de tendances » et créé un guide émotionnel, une démarche unique en France, visant à créer une ambiance design et authentique, en adéquation avec l’histoire et les valeurs du territoire.
Des opérateurs innovants qui n’hésitent pas à passer outre les modèles classiques
Co-fondeur d’Evaneos, Eric La Bonnardière est également parti du constat que l’attente des touristes avait évolué pour créer une plateforme de réservation de voyages en ligne qui permet aux clients d’être directement en contact avec les agences locales. « On ne peut pas mettre dans un programme que l’on va faire une belle rencontre, en revanche on peut aider les clients à aller au plus près du terrain et aider à la proximité. En 2009, lors d’un voyage à Madagascar, on s’est aperçu que des agences locales étaient à présent tout à fait capables d’organiser des voyages de A à Z, et on s’est dit qu’on pouvait tout à fait créer un modèle qui enlève l’intermédiaire en France pour mettre en contact direct le client et l’agence locale. » Aujourd’hui, si le modèle Evaneos a fait des petits, le fait d’avoir eu l’idée assez tôt permet à ses fondateurs de continuer à être leader sur le marché, avec une progression exponentielle. En outre, le concept a également été mené dans d’autres pays d’Europe, grâce à une batterie d’outils technologiques. « On crée beaucoup d’outils mais cela reste pour nous un moyen, l’humain reste fondamental. » Enfin, la jeune start-up a aussi su créer une organisation interne innovante, avec peu de hiérarchie et beaucoup de place laissée aux équipes. « Nous encourageons nos équipes à donner des idées, quitte à se planter. Nous n’avons pas de gros projets mais une multitude de petits projets. L’une des clés du succès est d’être très agile. »
Evolution, qualité, développement durable, imagination, créativité, territoires, proximité, communication, autant de mots clés qui résonnent suite à cette passionnante conférence, et qui montre que le secteur du tourisme est et sera toujours une caisse de résonnance du monde d’aujourd’hui.
Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Radio France, Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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