Tous les vols ne se valent pas !
Thèmatique : Conseils Initiative nationale Innovation Tourisme de masse
Si la crise sanitaire a accéléré les interrogations en cours sur la question de savoir s’il est raisonnable ou pas de s’envoler à l’heure de l’urgence écologique, le débat ne date pas d’hier. En 2019, nous avions assisté à la table-ronde « Peut-on encore prendre l’avion » au cœur de ce qui s’appelait encore l’IFTM-Top Resa. Le mois dernier, l’association ATR organisait au cœur de l’espace Tourisme Responsable de ce même salon IFTM un nouvel échange animé par Julien Buot cette fois libellé : « Tous les vols ne se valent pas ». De nouveaux éclairages et des regards plus « techniques » en présence de Vincent Bernt d’Irwigoo, Maxime Quiles d’Air France, Cyrille Digon de Corsair et Thadée Nawrocki de Lufthansa traduisant la volonté de montrer que si les choses avancent, tout n’est pas encore vert dans le ciel des voyageurs.

Repenser notre rapport au voyage
Il faut repenser notre rapport au voyage, voyager moins souvent, rester plus longtemps sur place, éviter les vols pour des escapades proches, diminuer ses vols lointains, autant de réflexions de bon sens qui commencent à faire consensus auprès des acteurs du tourisme durable. On se souvient de Jean-Marc Jancovici prônant l’an dernier quatre vols pour une vie (un vol tous les vingt ans), tous les cinq ans pour Greenpeace. Le débat reste vif, ce que Julien Buot, animateur des débats et directeur d’ATR, a rappelé en introduction précisant « qu’on ne peut partir pour un voyage au long cours, à l’autre bout de monde, que de façon exceptionnelle ». Un engagement pas toujours simple quand on dirige un réseau comprenant principalement des tour opérators et des agents de voyage qui, pour beaucoup, proposent des voyages à l’autre bout de la planète…. Toutefois les choses progressent, doucement, la table ronde précédente ayant d’ailleurs permis d’écouter les décisions engagées de quelques-uns de ces acteurs du voyage, avec pour certains la suppression des escapades à l’autre bout du monde, pour d’autres l’engagement de compenser leur empreinte carbone à 100%, ou à financer des associations locales sur place.
De nouvelles méthodes de calcul ou la fin du bilan carbone ?
Mais pour revenir au débat du jour, si tous les vols ne se valent pas, c’est aussi parce que les méthodes de calcul évoluent avec l’apparition de nouveaux acteurs, tels IRWIGoo, qui propose une méthode innovante pour calculer l’impact carbone des vols basée non pas uniquement sur une trajectoire d’un point A à un point B mais prenant aussi en compte la taille de l’avion, son remplissage, ses moteurs et toute une série de paramètres beaucoup plus étoffés qu’un simple plan de vol. Vincent Bernt (IRWIGoo) : « On vient du trek, ce qui fait que l’on est bien conscient de l’impact des vols. On avait envie d’agir pour évaluer et réduire cette empreinte et donc, on a mis en place cette méthode à destination des voyageurs ou des agences de voyage qui peuvent faire appel à nous pour faire des choix éclairés. A présent, le seul bilan carbone ne permet plus de tenir compte de la diversité d’approche des compagnies aériennes.» Pour mesurer l’impact carbone des vols, IRWIGoo a conçu un moteur de recherche qui s’appuie sur de nombreuses données, couplé à une notation qui prend en compte l’impact environnemental. L’idée, éclairer et informer les utilisateurs qui ne savent pas toujours pourquoi un vol direct consomme moins qu’un vol avec escale (poids du décollage et de l’atterrissage), l’impact du remplissage, du type d’appareil, etc. Et c’est ainsi qu’un vol transatlantique souvent estimé à 2,5 T peut émettre parfois 3 T, parfois 1,5, en fonction de la place du passager (la business classe émet trois ou quatre fois plus que la classe éco), de l’appareil, des escales, etc.

L’innovation et la technologie, les solutions des compagnies aériennes
Si les acteurs du tourisme durable parlent de voyager moins, d’utilité sociale des vols (« Tous les voyages ne se valent pas »), d’ombre climatique, d’intensité carbone à la journée, les compagnies aériennes répondent le plus souvent par des solutions technologiques souhaitant montrer qu’elles ne sont pas en reste dans la quête de vols moins polluant et citant même un premier rapport sur la durabilité des vols datant de 1994. Thadée Nawrocki (Lufthansa) : « L’effort pour la décarbonation du transport aérien ne date pas d’hier mais de 1994, même si je vois une accélération post covid évidente avec l’obligation faite à toutes les sociétés de plus de 500 employés de déclarer leur GES et de mettre en œuvre un plan d’action qui vise à rassurer ses clients et actionnaires (…). » En bref, les compagnies aériennes ont la pression, d’autant que les jeunes générations ne souhaitent plus rejoindre les entreprises sans engagements forts. Encore récemment, le formidable documentaire « Nous ne ferons pas les mêmes carrières. » rappelait que les jeunes aspirent à une vie professionnelle alignée sur leurs valeurs.
Alors, pour aller de l’avant, les compagnies jouent sur tous les leviers possibles et en premier lieu, sur le renouvellement des flottes, avec de nouveaux appareils qui devraient permettre de diviser par deux l’impact carbone par vol. Lufthansa précise avoir 250 avions en commande (2,5 milliards de commande par an) qui seront livrés en 2035. Corsair (Cyrille Digon) détaille également les efforts de la compagnie pour se moderniser : « D’ici décembre 2024, nous aurons remplacé entièrement notre flotte par des avions de nouvelle génération, permettant une réduction de 25 % des émissions de CO2 et une diminution de 60 % de l’empreinte sonore. » Enfin Air France précise également avoir prévu 1 milliard par an d’investissement avec de nouveaux appareils pouvant consommer 20% de moins. Les compagnies misent également sur l’entretien optimal des moteurs avec des équipements spécialisés pour améliorer leur efficacité, autant de petites mesures, comme le lavage des moteurs, qui contribuent à une amélioration significative des performances énergétiques. Chaque détail compte.

Les SAF de plus en plus plébiscités
Deuxième levier cité par les professionnels pour décarboner l’aérien, les SAF ou carburant d’aviation durables (Sustainable Aviation Fuels, SAF). Maxime Quiles (Air France) : « Nous travaillons sur les SAF depuis 2014. En 2022 et 2023, nous en avons été les premiers utilisateurs au monde, avec plus de 15% de la consommation mondiale (3% en moyenne), ce qui nous permet de baisser notre empreinte carbone de 75% par rapport aux carburants classiques. » De préciser également qu’il s’agit là de SAF respectant des critères stricts, qui n’entrent pas en concurrence avec l’alimentation ou la déforestation, ce qui est souvent reprochés à ces carburants qui puisent dans la biomasse. Pour l’avenir, Air France ambitionne d’utiliser les SAF comme levier principal pour faire baisser l’intensité carbone de ses vols. Toutefois, si la plupart des compagnies utilisent en partie (encore minime) ces nouveaux carburants pour faire voler leurs avions, l’enjeu reste aussi d’investir pour en créer de nouveaux, tant les SAF restent rares (et chers). Thadée Nawrocki (Lufthansa) : « L’an dernier, 0,5 millions de litres de SAF ont été utilisé. Si notre groupe en acquiert la totalité, nos avions ne pourront voler qu’une semaine. L’accès au SAF est clairement problématique. » Des carburants verts de synthèse sont donc à l’étude pour éviter de trop dépendre de la biomasse, d’autant qu’à partir de janvier 2025, les vols européens devront passer de 2% de SAF à 20% (dont 2,5% de SAF de synthèse).

Chaque effort compte
Pour continuer à innover et envisager toutes les solutions, les compagnies aériennes ont ainsi multiplié les pistes (sans jeux de mots) : amélioration de la masse de l’avion, roulage plus efficace (4 à 5% de carburant gagné par an), optimisation du remplissage, des trajectoires des vols, éco pilotage, etc. Cyril Digon (Corse Air) : « Chez nous, des programmes pour réduire les carburants existent depuis les années 1980, et les bonnes pratiques de pilotage ont été mis en place la décennie suivante. ». Des initiatives qui ne datent donc pas d’hier mais qui n’étaient pas portées à la connaissance des clients, alors moins sensibles à ces questions. Des efforts, des investissements mais aussi des leviers plus innovants, comme cette expérimentation « biomimétique » menée par Lufthansa via une étude réalisée avec le groupe chimique allemand BASF, qui a visé à reproduire une peau de requin sous la forme d’un film spécial adhésif, baptisé AeroShark, améliorant l’aérodynamisme posé sur les appareils pour tenter d’augmenter, tel le cétacée, non pas la pénétration dans l’eau, mais dans l’air. « Nous avons déjà 15 Boeing 777 équipé de ce film, cela permet 1% d’efficacité CO2, ce n’est pas beaucoup mais cela contribue à l’effort. » Prochaines étapes : faire certifier ce film du futur, l’essayer sur d’autres types d’avion puis le commercialiser, en espérant arriver à une efficacité de 3% CO2 en moins.
Engager les passagers et les employés pour un avenir durable
Mais si la technologie et l’innovation progresse, les aspects humains ne doivent pas non plus être négligé. RSE, tri à bord, bien-être social, sociétal, tout compte pour la transition vers une aviation durable ; et la moindre action représente aussi un enjeu d’image. Thadée Nawrocki (Lufthansa) : « Nous avons lancé les ‘Green Explorers’, un programme de volontariat où les employés proposent des projets écoresponsables. Cette initiative aide non seulement à développer des solutions innovantes mais aussi à renforcer l’engagement de tous les acteurs internes. » Engager ses collaborateurs, mais aussi ses clients, à l’image d’Air France qui joue la transparence en les informant de l’empreinte carbone des vols au moment de la réservation. L’idée : éduquer les passagers et les encourager à faire des choix plus responsables. Une initiative qui rejoint finalement les objectifs du calculateur d’IRWIGoo. Parce que tous les vols ne se valent pas !
————— Aller plus loin ——————
Cet article a été écrit suite à la table ronde organisée par ATR en septembre dernier sur l’espace tourisme responsable (ATD) du salon IFTM dont voici l’intitulé original.
Tourisme responsable et aviation : tous les vols ne se valent pas !
S’il s’agit de repenser notre rapport au voyage en voyageant moins souvent, moins loin et plus longtemps, cela ne veut dire qu’on ne peut pas partir pour un voyage au long cours à l’autre bout du monde de façon exceptionnelle, dans tous les sens du terme. Et même quand on prend l’avion, il est possible de limiter l’impact grâce à des spécialistes de l’aérien engagés. Témoignages de certains d’entre eux qui dévoileront certaines de leurs bonnes pratiques.

Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Radio France, Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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