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Retour en Casamance. Eté 1992 & Janvier 2024.

| Publié le 1 février 2024
Thèmatique :  Innovation   Itinérance   Portrait   Projet solidaire   Territoire 
             

Il y a trente-deux ans de cela, j’ai eu l’occasion de passer deux mois en Haute Casamance dans la région de Bignona, plus précisément à Kabiline et Badiana, deux villages qui accueillaient alors de jeunes volontaires venus de France dans le cadre d’un « Brevet d’Aptitude au Fonction de Développement », forme de BAFA adapté aux pays du sud. Le temps a filé. Trente-deux ans ont passé. À la faveur d’un voyage de presse organisé par Vision Ethique, agence pionnière de tourisme éthique et solidaire, j’ai pu retrouver cette terre qui m’avait tant marquée.

GenevièveEtCaroline©DR

Chez Olimata. Badiana. Eté 1992.

Il est des voyages qui vous hantent et vous habitent. Forme de rituel d’initiation dans votre approche du monde, ils ont posé les jalons de votre cheminement et commencé à forger une direction dans votre monde. S’immerger dans un village de Casamance quand on vient de passer la vingtaine, c’est avant tout tenter de se fondre dans toute la complexité du monde diola. A Badiana, me voici Fatou sous le toit d’Olimata qui m’accueille comme sa fille au milieu de ses nombreux enfants. Il y a ses filles, ses fils, et puis ses neveux, tout le monde est frère et sœur. On ne fait pas la différence. J’ai malgré tout le privilège d’avoir ma chambre au cœur de la case familiale, un lit simple dans une pièce en pisé, le grand confort déjà. J’apprends alors à vivre au rythme de la famille. Le grand balayage du matin, la douche avec quelques verres d’eau puisés au seau, les toilettes sommaires derrière « la maison » où la main gauche, impure, fera le nécessaire à l’aide d’un peu d’eau, les déjeuners simples de riz et bissap frais (rappelant l’oseille sous cette forme), la participation à la plantation du manioc ou des arachides avec les femmes, le battement du pilon, le riz trié et tamisé dans un large panier plat…

Un jour, je pars en taxi-brousse avec les femmes pour acheter des tissus en Gambie ; un autre, on m’intime de ne pas sortir de la case car c’est le temps de l’initiation des jeunes gens au bois sacré. J’assiste aussi à la cérémonie d’excision des jeunes filles, à une immense fête où des dizaines de buffles sont sacrifiés. Je ne comprends pas tout et mes rudiments de diola me permettent surtout d’exécuter les salutations d’usage quand je croise les villageois, mais je m’imprègne de chaque moment et apprécie tout particulièrement le dialogue silencieux qui se noue avec Olimata. Nous n’avons pas de langue commune mais nous arrivons à nous comprendre. Elle rit parfois de mes maladresses mais je sens qu’un lien fort s’est noué. Quand je repars en France, deux mois plus tard, je ne vois plus le monde du même œil. Pendant un temps, il me sera impossible de prendre une douche tant cette eau qui coule me semble un odieux gaspillage, d’acheter autre chose que le strict nécessaire tant tout m’apparait comme surconsommation. Je n’ai pas besoin de grand-chose ou du minimum. Là-bas, j’ai appris combien il était possible de faire avec peu. La sobriété n’est qu’une question de bon sens et d’adaptation à un lieu et un temps donné. Déjà.

Fromager D’Oussouye©GClastres

Sur les traces de Vision Ethique. Janvier 2024.

Quand Caroline me propose de participer à un voyage de presse en Casamance à l’automne dernier, je sens que c’est peut-être le juste temps. Caroline vient elle-même de revenir d’Asie du Sud-est où elle a passé dix ans. Mais surtout, elle est à la tête depuis 2007 d’une des agences pionnières de tourisme solidaire, Vision Ethique, qui propose des séjours en immersion dans de nombreux pays, dont le Sénégal. Elle y finance des projets locaux via une contribution carbone obligatoire payée par chacun de ses voyageurs. L’objectif du voyage est de faire connaître son nouveau circuit auprès de la presse touristique française en présentant les projets soutenus. Elle souhaite aussi nous faire découvrir  la nouvelle configuration de son agence, en lien avec le groupiste Transunivers et son directeur, Alexis Kahn, qui a également missionné Caroline pour former ses équipes au « tourisme équitable » tout en développant une nouvelle plateforme communautaire 100% dédiée au tourisme responsable. Nous sommes sept journalistes et un photographe accompagnés par Caroline à qui s’est joint Alexis Kahn, et Malik, guide wolof et partenaire local de Vision Ethique à Dakar.

 Caroline a choisi de faire commencer son nouveau circuit par Dakar et la visite de l’île de Gorée. Il est initialement prévu de rejoindre Ziguinchor (capitale de la Casamance) par bateau mais la ligne est fermée depuis des mois à cause des tensions provoquées par les futures élections sénégalaises prévues le 25 février prochain. L’aéroport de Ziguinchor étant également en travaux, nous volons finalement sur Cap Skirring, plus au sud. Cap Skirring, la fameuse ville du Club Med. C’est le premier pied de nez amusant pour moi, puisque la ville et son club Med ouvert dès 1973 représentent justement la carte postale du tourisme de masse que cherche à fuir le tourisme solidaire. En réaction, pour présenter une offre de tourisme rural intégré, le Sénégal sera le terrain d’une expérimentation pionnière dès les années 1970 : les fameux campements intégrés implantés dans les villages issus d’un projet de coopération mené par Christian Saglio. Vision Ethique a justement prévu plusieurs nuitées dans ces campements pendant son voyage, et nous aurons l’occasion lors de notre voyage de presse d’y passer une nuit et même de visiter le tout premier campement, celui d’Elinkine, malheureusement un peu délaissé (article à suivre sur les campements intégrés de Casamance).

Casamance
Campement d’Elinkine©GClastres

Une journée particulière.

 Si la visite des campements fait partie des moments du voyage qui m’intéressent au plus haut point, curieuse de voir comment s’organise cette gestion communautaire consistant à partager les revenus entre tous mais aussi à permettre le financement des projets locaux, je suis également impatiente de découvrir les projets plus directement financés par Vision Ethique. Notre programme mentionne une collaboration avec l’association Atlantic Afrika qui vise à équiper les familles de foyers améliorés (fours construits sur une base d’argile comportant deux foyers) afin de réduire la consommation massive de bois et la déforestation, mais aussi la rencontre avec le groupement d’intérêt économique (GIE) Jito composé de 945 femmes qui transforment fruits et légumes en autant de conserves, jus, confitures, pour éviter le gaspillage alimentaire. Ce qui n’est pas mentionné toutefois, c’est Atlantic Afrika vient de démarrer une nouvelle coopération avec le village de…. Kabiline. Et alors que je pensais ne pas avoir l’occasion de revenir dans l’un des villages de mon expérience passée,  voici que je découvre, très émue, que  nous partirons le lendemain pour Kabiline et donc forcément via Badiana, qui se situe un peu en amont.

Difficile ici de tout raconter, mais dire l’émotion d’avoir retrouvé Badiana puis Olimata contre toute attente. Ce fut d’abord un panneau de signalisation sur une route aujourd’hui bétonnée, « malgré ses nombreuses baignoires d’éléphants » ironiserait Caroline ; puis le souvenir de mes traversées du village alors et le positionnement de la petite épicerie locale qui m’aidèrent à localiser la « maison » assez vite. Ce fut enfin cette dame qui nous appela sa fille et nous mena, tout le groupe, retrouver Olimata, devenue une vieille dame de 72 ans un peu souffrante. Que dire ? Le temps a passé. Il y a trente-deux ans, sans téléphone, ni internet, et des courriers aléatoires, il était difficile de garder contact et le souvenir prenait le pas sur l’expérience vécue. Ces temps où les voyages nous coupaient de notre monde et nous éloignaient de nos proches dans tous les sens du terme. Internet a rapproché les mondes mais il a aussi fait fondre ce temps long de la parenthèse, de la seule mémoire, du souvenir comme jardin intime. « Avant le voyage lointain éloignait, aujourd’hui il rapproche », dis-je souvent à mes étudiants pour les taquiner et les faire réfléchir sur les bouleversements qu’ont apportées les nouvelles technologies quant à la notion d’éloignement et de voyage. De fait, à présent, on ne reçoit jamais autant de nouvelles et de photos de nos proches que quand ils sont loin….

 A présent je pourrai communiquer avec la fille d’Olimata par What’s App. C’est précieux et perturbant à la fois. Comme il est compliqué de retrouver ma « maman » africaine vieillie et presque aveugle. Certes Olimata avait alors tout juste 40 ans, mais on ne vieillit pas en Afrique comme on vieillit en Europe. Deux mondes. Deux réalités. Et ce pont de 32 ans qui me rappelle un autre grand écart fait régulièrement depuis plus de 30 ans, ces va-et-vient réguliers entre mon pays et la Chine du Sud où là, contrairement à la Casamance, le temps a fait disparaitre tant de souvenirs qui  ne reviendront pas. La Casamance, le Guizhou, deux terres rurales qui m’ont marquée et que le temps a modelé si différemment. Au souvenir unique se superpose à présent une foultitude de questions. Il y a 32 ans, le Guizhou s’ouvrait au tourisme occidental avant de connaître en quelques décennies des mutations impressionnantes : autoroutes, aéroport, bétonnisation, destruction, déstructuration, exode rural…  Il y a 32 ans, la Casamance était déjà aux prises avec son envie de développer ses villages en lien avec pléthore d’ONG réalisant kyrielle de micro-projets mais ses villages, grenier de tout le Sénégal, semblent avoir si peu changé. Il y a 32 ans, c’était aussi les prémices de la guerre d’indépendance casamançaise qui allait voir partir tant de jeunes dans la brousse et renvoyer dos à dos le pouvoir de Dakar et les activistes casamançais. Une guerre qui fait encore parler d’elle. Et ce n’est sûrement pas anodin si Ousmane Sonko, le candidat de la Casamance aux futures élections, est aujourd’hui en prison pour des raisons bien obscures…

Danseuses de Kabiline©GClastres

Nous poursuivons la route vers Kabiline, gros « village » de 13 000 habitants, où Vision Ethique est attendu pour signer le nouveau partenariat autour du projet de foyers améliorés. Kabiline. Ce fut le premier village à m’accueillir. Je fouille ma mémoire car un homme notamment a été le lien entre les volontaires français et l’Entente de Diouloulou qui représentait alors les villages où nous étions répartis. Impossible de retrouver son nom. Et pourtant, je ne le sais pas encore, mais il est là, avec tout le village, heureux de notre présence. Chants, danses, tam-tams, hommes masqués, fétiches, kompo (gardien de l’ordre), kangourang, l’accueil est grandiose. Nous sommes entrainés dans la ronde qui avance, dans le jeu des discours, pris à partie par nos hôtes, si heureux de nous recevoir. Malheureusement, nous sommes aussi quelques-unes à souffrir d’une intoxication alimentaire et alors qu’une partie du groupe poursuit le programme, je me retrouve allongée sur une natte dans la maison du chef avec quelques consœurs. La maison bruisse. Des bribes de diola. Des allées et venues sur le sol en pisé. Le son du repas qui se prépare.  Je retrouve à l’horizontale et plus au calme, les vibrations de ce quotidien qui m’a tant marqué alors. Et soudain, cette voix qui jaillit dans la pièce voisine, ce « Daouda ! » sorti de la bouche du chef du village, un prénom scandé tel un coup de clairon qui fait remonter à la surface de ma mémoire le « Daouda Dhiédiou » d’alors. « Daouda ! » Mais bien sûr, c’est ce prénom que je recherchais depuis hier. Etonnamment (ou pas), il est là, juste à côté de notre alcôve de malade, en train de palabrer avec les vieux. Je le rejoins et très vite, il me remet, contrairement aux femmes alors, il parle parfaitement le français et se souvient très bien. Je peux donc évoquer cet été 1992 où quelques « volontaires venus de l’Hexagone » passèrent deux mois au sein  de plusieurs villages de la région de Bignona. Nous sommes si heureux de nous retrouver. Nous parlons comme si nous nous étions quitté hier. Je lui montre quelques photos de ma vie en France, il me donne à son tour de ses nouvelles. Il a quatre femmes, 15 enfants et 15 petits-enfants et continue à travailler pour le village comme conseiller du chef. « On aimerait d’avantage connaître votre culture, organiser plus d’échanges scolaires, me glisse-t-il. » Il me confirme également combien Ousmane Sonko est aimé ici, en Casamance… 

DaoudaDhiédiouEtGenevièveClastres©GClastres

Epilogue

Nous nous sommes dit au revoir avec Daouda, après avoir échangé un numéro de téléphone et bien des choses encore. Une parenthèse dans le programme quand les plus vaillantes assistaient à la construction d’un foyer amélioré pour bien en comprendre les différentes étapes. Une après-midi riche et dense pour tout le groupe, heureux de ce temps partagé qui montre que trente-deux ans après, le tourisme a plus que jamais un rôle à jouer pour contribuer au développement local et poursuivre des échanges qui n’ont jamais cessé. Etonnamment, je réalise combien ce voyage m’a aussi permis de « boucler la boucle » de plus de 30 ans d’engagements et de réflexions personnelles sur le tourisme. Après la Casamance, je me suis intéressée à la Chine du Sud et c’est au Guizhou donc, province rurale, pauvre, enclavée, que sont apparus mes premiers questionnements sur notre façon de voyager. Alors jeune guide conférencière accompagnant des voyageurs français au cœur de villages peuplés de « minorités ethniques », j’ai vite réalisé que combien l’activité touristique était ambivalente, à la fois porteuse d’ouverture, d’échanges, de promesses de développement, mais aussi souvent déstabilisante et perturbante pour les populations locales et leur environnement. J’ai ensuite beaucoup écrit sur ces sujets, devenant une auteur et journaliste « engagée » pour un tourisme plus durable, une enseignante à mes heures aussi, heureuse de transmettre aux plus jeunes. Revenir en Casamance avec Vision Ethique m’a donc permis de faire un trait d’union entre toutes ces expériences, l’Afrique, la Chine, les terres rurales, le tourisme solidaire, l’engagement journalistique et personnel. Un voyage particulier avec des consœurs journalistes très attachantes et ce pied de nez du destin qui m’a permis de retrouver Olimata à Badiana et Daouda à Kabiline. Mektoub ! Yuanfen ! Taenga ! Destin ! Ainsi va la vie, ainsi vont nos vies, souvent façonnées par des coïncidences troublantes. J’espère à présent pouvoir revenir un jour en famille dans ces villages de Casamance, et y passer plus de temps pour que mes enfants, à leur tour, poursuivent le fil de ces histoires et tissent leurs propres souvenirs.


Merci à Caroline, Malik et Alexis pour ce formidable voyage.

Et merci aussi à mes formidables compagnes et compagnons de voyage. Sandrine, Mathilde, Aurélie, Barbara, Bérangère, Valérie, Jérémi.

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La Casamance Autrement avec VISION ETHIQUE
Danseuses et Kompo à Kabiline©GClastres

Retour en Casamance. Eté 1992 & Janvier 2024. | ©VOYAGEONS AUTREMENT
Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Radio France, Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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