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D’Irlande et de Grande-Bretagne aux Etats-Unis, rencontre avec les Irish Travellers

| Publié le 12 avril 2020
             

Bien que souvent considérés comme des Gitans, des Roms ou des Gypsies, les Irish Travellers sont des gens du voyage originaires d’Irlande qui n’ont de commun avec les autres communautés que le mode de vie, celui du voyage. Suite aux guerres cromwelliennes du XVIIème siècle en Irlande, bon nombre d’Irlandais ont tout perdu et ont pris la route à la recherche de vies meilleures. Des clans familiaux se sont formés ainsi que des communautés soudées. Des campagnes irlandaises, certaines familles sont aussi parties tenter leur chance en Grande-Bretagne et outre-Atlantique aux Etats-Unis. Aujourd’hui, ils seraient environ 25 000 à vivre au Royaume-Uni, 30 000 en Irlande et 5 000 en Amérique. Voyage à la rencontre des Irish Travellers, de leur culture et de leurs traditions.

Enfants Irish Travellers © Elisabeth Blanchet

Des gens du voyage aux tâches de rousseur

Station de South Bermondsey dans le sud-est de Londres. En contrebas de la voie ferrée, des caravanes et des micro-maisons en brique longent la station. On dirait bien un camp de gens du voyage. En s’approchant, on se rend compte que le site est divisé en parcelles bien délimitées et que les enfants qui courent dans tous les sens ont presque tous … des tâches de rousseur. Il s’agit d’une communauté d’Irish Travellers, installée sur ce bout de terrain municipal depuis près de trois décennies ! Pour eux, le voyage, ce n’est plus vraiment un mode de vie. « Même si la caravane est toujours prête, on ne part plus que pour les grandes occasions : les mariages, les baptêmes, les communions, les enterrements mais aussi pour les grands rassemblements comme la foire aux chevaux d’Appleby, dans le nord de l’Angleterre« , explique Mary-Ann, une Irish Traveller toute pimpante et toujours ravie d’ouvrir la porte de sa caravane d’une propreté immaculée.

Mary-Ann © Elisabeth Blanchet

Une sédentarisation forcée

A Bermondsey, une vingtaine de familles plus ou moins apparentées vivent ensemble et forment une communauté forte et soudée. « Petit à petit, on a été obligés de se poser quelque part. Avant, on s’arrêtait sur le bord de la route ou dans un champ. On restait le temps de faire des petits boulots dans le coin comme la cueillette de fruits dans le Kent par exemple. On vendait aussi des seaux, des gamelles en métal que les hommes fabriquaient. Puis on repartait quand on nous ne tolérait plus dans le coin ou quand on avait des boulots à faire ailleurs », raconte cette grand-mère d’une soixantaine d’années. Puis les lois sont devenues plus drastiques dans les années 90. Avec la vague des raves et des New Age Travellers, le gouvernement resserre les boulons. Dormir dans une caravane sur le bord de la route devient illégal. Même s’il reste quelques communautés d’Irish Travellers qui continuent aujourd’hui à voyager à l’ancienne sous peine d’expulsion, la plupart s’est sédentarisée sur des bouts de terrains alloués aux familles par les autorités locales. Des terrains divisés en parcelles souvent aménagées, chacune étant affublée d’une petite maison cuisine et salle de bains avec eau et électricité.

Foire aux chevaux, Stow GB © Elisabeth Blanchet

Religion, traditions et robes moulantes !

« Bien sûr, cela permet aux enfants d’aller à l’école régulièrement, à nous tous d’être suivis sur le plan médical mais aussi d’être « fichés » par les autorités. Et beaucoup n’aiment pas trop ça chez nous », révèle Mary-Ann. Depuis le début de leur itinérance sur les routes d’Irlande puis de Grande-Bretagne et des Etats-Unis, les Irish Travellers se sont forgés une identité de groupe à l’écart des autres, une identité fondée sur la liberté, une identité également basée sur la religion catholique. Ils sont de fervents pratiquants. Chaque rite de passage représente un événement capital dans la vie de la grande majorité des Irish Travellers. « Avoir la chance d’assister à un mariage ou à une communion, c’est quelque chose, raconte Noémie, une journaliste qui a pu aller à un mariage d’Irish Travellers, c’est grandiloquent. Les filles sont habillées avec des robes carrément près du corps, bardées de maquillage et on dirait qu’elles ont vidé des quantités dingues de sprays auto-bronzants »… Curieux pour de pieuses personnes. Mais le rapport au corps est visiblement différent et c’est un peu comme si ce n’était pas grave, au contraire, car les filles sont en sécurité au sein de la communauté. C’est aussi lors de ces grandes occasions qu’on a des chances de rencontrer l’âme soeur !

Jeunes filles Irish Travellers © Elisabeth Blanchet

Pas le temps de faire sa crise d’ado

Car chez les Irish Travellers, on se marie tôt, dès l’âge légal de 16 ans – le même en Irlande, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. On peut même être « fiancés » plus tôt mais attention, pas de rapport sexuel avant l’union matrimoniale. D’ailleurs, les filles comme les garçons passent quasiment de l’enfance à l’âge adulte sans avoir d’adolescence et arrêtent l’école en cours d’enseignement secondaire. Rares sont ceux qui passent l’équivalent du bac et encore plus ceux qui poursuivent dans l’enseignement supérieur. Quant à la génération des quarante-cinquante, nombreux sont les illettrés. Même si la sédentarisation est « contre nature  » pour les Irish Travellers, elle a toutefois le mérite de donner plus de chances aux jeunes générations d’avoir un meilleur accès à l’éducation, même si elles ne restent pas longtemps à l’école, car chez les Irish Travellers, on apprend par la culture orale et on fait ce que ses parents ont fait avant soi. Les filles apprennent à devenir des « caravan wives » et à s’occuper des enfants avec leurs jeunes frères et soeurs, les garçons accompagnent leurs pères dans leurs différents boulots, notamment d’asphaltage de routes, dès l’âge de 12 ou 13 ans.

Filles Irish Travellers en robes de communion © Elisabeth Blanchet

Des chevaux et des hommes

Et qui dit – disait – voyage dit chevaux. Mêmes si les 4 X 4 et les pick ups ont remplacé les animaux pour tirer les belles roulottes aujourd’hui devenues caravanes dernier cri, les Irish Travellers continuent d’entretenir avec les chevaux et leur élevage des relations très étroites et sont toujours impliqués dans les courses et les paris.… Ils organisent d’ailleurs chaque année des foires aux chevaux en Grande-Bretagne à Appleby dans la superbe région du Cumbria au nord et en Irlande à Ballinasloe dans le comté de Galway. Des milliers de Travellers s’y retrouvent. Et c’est une belle opportunité pour qui vient de l’extérieur de se plonger dans leur culture. Certains viennent avec leurs vieilles roulottes colorées, d’autres chantent des chansons traditionnelles dans une langue, le Cant, dérivé du gaélique et propre aux Irish Travellers. On assiste aussi à des courses de démonstration des chevaux, à de belles scènes de bains de chevaux dans les rivières qui coulent alentours. Mais surtout, on est immergé dans une culture à des années lumière de la nôtre, même les étales vendent des objets ou des vêtements bien souvent kitsch qu’on ne voit nulle part ailleurs, aux antipodes de nos goûts. Ça et là, vous verrez aussi une caravane où on vous proposera de vous lire les cartes ou de vous prédire l’avenir… Les Irish Travellers ont aussi cette tradition de diseuses de bonne aventure !

Bain des chevaux, Appleby © Elisabeth Blanchet

Boxe, escroquerie et discrimination

Mais tout n’est pas rose au pays des Irish Travellers. Ils sont souvent accusés de différents types d’escroquerie. Des affaires mineures d’arnaques, du trafic de stupéfiants, des paris truqués mais aussi tout un réseau de boxe à poings nus, une discipline bien évidemment interdite et développée underground… Du coup, ils n’échappent pas à l’ancestrale « peur du Gitan ».

Paddy Doherty, champion de boxe Irish Traveller © Elisabeth Blanchet

En Grande-Bretagne, ils sont reconnus – comme en Irlande mais pas aux Etats-Unis – comme un groupe ethnique, les Irish Travellers sont ceux qui souffrent le plus de discrimination. Jusqu’au début des années 2000, il n’était d’ailleurs pas rare de voir à l’extérieur de pubs : « No Travellers thank you »… Aux Etats-Unis, leur plus grande communauté, à Murphy Village en Caroline du Sud est régulièrement la cible des tabloïds locaux : on les accuse d’arnaque à l’assurance, de mariages arrangés et célébrés en-dessous de l’âge légal…

Murphy Village © Elisabeth Blanchet

Curieux des autres et de communautés dont les traditions et le mode de vie tendent à disparaître et à être absorbées par notre société uniformisée, partez à la découverte de la culture des Irish Travellers. Bien évidemment, parler un minimum l’anglais est nécessaire pour mieux communiquer au Royaume-Uni. Remontez dans le temps et rejoignez les aux fêtes des chevaux, discutez avec des familles, faites-vous inviter au coin du feu, et peut-être aurez-vous la chance de vous retrouver à des noces ou des communions, vous ne le regretterez pas !

Tommie et sa grand-mère Jackie, Murphy Village © Elisabeth Blanchet

Pour plus d’informations, regardez le très beau film avec Gabriel Byrne, Into The West, et la fameuse série Peaky Blinders dont le héros n’est autre qu’un Irish Traveller !

Ne manquez pas non plus les foires aux chevaux d’Appleby et de Ballinasloe.


D’Irlande et de Grande-Bretagne aux Etats-Unis, rencontre avec les Irish Travellers | ©VOYAGEONS AUTREMENT
Par Elisabeth Blanchet
Ancienne prof de maths, je me suis reconvertie dans le photo journalisme en 2003 à Londres où je vivais. J’ai travaillé pour différents magazines dont Time Out London et j’ai développé des projets à longs termes dont un sujet les préfabriqués d’après-guerre, une véritable obsession qui perdure, les Irish Travellers -nomades Irlandais- dans le monde, les orphelins de Ceausescu - je suis des jeunes qui ont grandi dans les orphelinats du dictateur depuis 25 ans -. Je voyage beaucoup et j’adore raconter des histoires en photo, avec des mots, en filmant, en enregistrant… Des histoires de lieux, de découvertes mais surtout de gens. Destinations de cœur : Royaume-Uni, Irlande, Laponie, Russie, Etats-Unis, Balkans, Irlande, Lewis & Harris Coup de cœur tourisme responsable : Caravan, le Tiny House Hotel de Portland, Oregon – Mon livre de voyage : L’Usage du Monde de Nicolas Bouvier – Le livre que je ne prends jamais en voyage : L’oeuvre complète de Proust à cause du poids – Une petite phrase qui parle à mon cœur de voyageur : « Home is where you park it »
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