Gabriel Macaya, Ambassadeur du Costa Rica en France
Propos de Gabriel Macaya, Ambassadeur du Costa Rica en France, retranscrit de la conférence “Qu’est-ce qu’un tourisme responsable ? Les paroxysmes” qui s’est tenu le 20 février 2017 au Muséum national d’Histoire naturelle.
Le Costa Rica présente de nombreuses asymétries. La première est l’asymétrie entre la côte caraïbe et la côte pacifique. La côte caraïbe présente peu d’intérêt géographique. La côte pacifique, au contraire, comporte golfes, baies, etc. et attire massivement les touristes. Par ailleurs, plus des deux-tiers de la population se trouve dans une vallée centrale, qui représente moins d’un tiers de la superficie du pays. Une autre asymétrie, entre le centre, zone la plus développée, et la périphérie, peut également être relevée.
Le système de parcs nationaux est relativement important dans le pays. La couverture forestière représente 52 % de sa superficie. Le pays abrite 6 % de la biodiversité mondiale sur 0,03 % de la superficie de la Terre. La densité de biodiversité y est donc extrêmement importante. La population a accès à l’électricité et à l’eau potable. Le pays produit 100 % de son électricité par des sources renouvelables.
Avec 4,9 millions d’habitants, le pays accueille chaque année 3 millions de visiteurs. On peut s’interroger sur la capacité du Costa Rica à accueillir un tel flux de touristes. Cette question ne se pose pas uniquement en termes de capacité d’hébergement.
Le produit intérieur du pays est suffisamment élevé pour que celui-ci n’entre pas dans le cadre de la coopération pour le développement, ce qui pose problème. L’espérance de vie à la naissance est très élevée, à près de 80 ans. Le pays connaît un problème de pauvreté non négligeable – autour de 21 % de population pauvre. Le coefficient d’inégalité est également relativement important. Pourtant, le Costa Rica est classé parmi les pays à haut développement humain par les Nations-Unies (rang 69 sur 204).
Le pays dispose d’un système de conservation de la nature développé à partir de 1970. Actuellement, 12 % du pays se trouve dans des parcs nationaux et 26,5 % dans des aires protégées. Au total, près d’un tiers du pays est, d’une façon ou d’une autre, protégé. Les parcs nationaux reçoivent chaque année environ 2 millions de visiteurs, dont 1 million de nationaux et 1 million d’ étrangers. Seule une partie non majoritaire des touristes visite les parcs nationaux. La stratégie de développement du tourisme durable doit prendre en compte cette donnée.
Le système des parcs nationaux est peu connecté. Le Parc de l’Amitié, très large, est un parc binational qui s’étend sur le Panama. Il n’existe pas de corridors entre les autres nombreux petits parcs, ce qui pose problème, notamment pour les mouvements des espèces protégées.
Le nombre de visiteurs des parcs nationaux croît actuellement à un rythme très élevé. Depuis 1990, jusqu’en 2014, la croissance moyenne s’élève à 50 000 visiteurs supplémentaires chaque année. Cette forte croissance pose un problème important de saturation des parcs. Dans les cinq dernières années, le taux de croissance a doublé.
Le Costa Rica est au cœur d’un couloir biologique entre l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud. Cela a permis à des espèces de ces deux grands continents de se rencontrer : on peut y rencontrer jaguars, coyotes, ratons-laveurs, venus d’Amérique du nord, et singes, paresseux, opossums, venant du sud. A l’heure actuelle, 6 % des espèces recensées dans le monde se rencontrent au Costa Rica.
Au cours des trente dernières années, le tourisme est devenu l’une des principales activités économiques dans le monde. Son impact sur l’économie mondiale est estimé entre 9 % et 11 % du PIB mondial. Un emploi mondial sur onze est généré par le tourisme.
Au Costa Rica, la contribution économique directe du tourisme au PIB national atteint 5 %, pour une contribution totale de 12,6 % du PIB. L’activité touristique génère 5 % de l’emploi.
Depuis 2006, la croissance des arrivées de touristes internationaux atteint, selon les régions du monde, entre 3,5 % et 4,5 %. Les flux de touristes dans le monde devraient croître de 3,3 % entre 2010 et 2030 et, dans la même période, la croissance des flux touristiques dans les pays émergents devraient atteindre 4,4 % par an, deux fois plus vite que dans les économies avancées.
Au Costa Rica, le nombre de touristes accueillis s’élève à 3 millions chaque année. Le nombre de touristes français représente 2 % (50 000 visiteurs). Ce faible nombre croît néanmoins deux fois plus vite que pour les autres nationalités. Entre 2005 et 2014, le nombre de touristes français est passé de 25 000 visiteurs par an à 50 000 visiteurs (+ 100 %). Cette croissance s’accélérera sans doute grâce aux vols direct d’Air France entre San José et Paris.
La grande majorité des touristes provient de l’Amérique du Nord. 40 % des visiteurs arrivent des États-Unis, 27 % de l’Amérique Centrale et 15 % de l’Europe. La croissance du nombre de touristes arrivés au Costa Rica entre 1984 et 2016 atteint quasiment 1 000 %.
Le Costa Rica propose depuis longtemps une gamme de services et de produits touristiques très importante, sans que l’on puisse réellement parler de tourisme masse : l’écotourisme, le tourisme balnéaire, le tourisme d’aventure, le tourisme rural, le tourisme du bien-être, etc. Cette diversité de produits génère un dynamisme et une flexibilité, avec une grande quantité d’acteurs locaux.
Deux traits principaux caractérisent l’activité touristique dans le pays : la diversité d’activités proposée et sa large dispersion dans le pays. Comment gérer cela ? L’éducation, tant pour les touristes que pour les opérateurs, est le facteur central pour le tourisme durable. L’État a décidé de s’atteler d’abord à l’éducation des opérateurs. Un certificat de tourisme durable a été créé par le Ministère du Tourisme. Il vise à catégoriser et certifier les entreprises touristiques sur la base de critères physico-biologiques, d’infrastructures, de services et d’environnement socio-économique. Actuellement, 363 entreprises touristiques sont certifiées.
Le défi consiste à établir un équilibre entre écotourisme et tourisme de masse, ce dernier se concentrant sur la côte pacifique, avec hôtels tout compris, sans intérêt. Parallèlement, le tourisme à petite échelle se retrouve dans les forêts, dans les communautés rurales. Le gouvernement a décidé de promouvoir l’écotourisme, et non le tourisme de masse, qui se développe sans avoir besoin de l’appui de l’état.
Actuellement, la capacité d’accueil des parcs nationaux est dépassée par la demande. Certains parcs ferment quelques jours par semaine pour limiter les dommages. Par ailleurs, l’infrastructure routière est détériorée, notamment du fait de récents ouragans. En outre, le niveau de développement du pays et le coût élevé de la vie limite le développement du tourisme. Le tourisme reste cher, mais, en faisant du tourisme au Costa Rica, le visiteur profite de la nature et de la biodiversité et aide aussi à sa protection.
Jean-Philippe Siblet / Monsieur Macaya, pouvez-vous nous préciser si vous disposez de mécanismes visant à limiter le développement du tourisme de masse et l’artificialisation de la nature ?
Gabriel Macaya / L’État est très actif dans la régulation des grands hôtels. En revanche, il ne souhaite pas en faire la promotion, contrairement aux autres formes de tourisme. On compte quelques zones proches des plages où le développement hôtelier est très important. Les tortues pondent sur ces plages. Traditionnellement, les communautés récupéraient une partie importante de ces œufs. L’État a donc souhaité protéger ces plages. Or, la quantité des éclosions restait très faible. Le nombre de petites tortues arrivant effectivement à la mer était donc très faible. L’État a donc engagé les communautés proches dans la protection des œufs en échange d’un quota d’œufs de tortues. Dès lors, la quantité d’éclosion et d’arrivées de tortues à la mer a été multipliée par dix. Par ailleurs, la lumière émise par les hôtels déviaient les tortues des plages sur lesquelles elles pondaient. Une régulation de l’éclairage des plages de ces hôtels a donc été décidée. Un autre exemple peut être cité. Le trafic d’orchidée était extrêmement important. L’université du Costa Rica, qui dispose d’un jardin botanique, a mis en œuvre une stratégie de récupération d’espèces menacées par culture in vitro. Afin de réduire la pression sur les orchidées sauvages, l’Université décidé d’offrir à la vente des orchidées certifiées, issues de la culture in vitro. Cette démarche a très bien fonctionné auprès des touristes.
Des actions publiques sont donc mises en œuvre. Mises bout à bout, elles permettent de préserver la biodiversité.
Question de la salle / Dans un documentaire que j’ai visionné, les touristes se rendaient au Costa Rica dans le cadre d’un voyage axé sur nature ; pourtant, ils dérangeaient la faune par leur présence, certains grimpant sur les dos des tortues venues pondre sur les plages. Ce comportement est paradoxal, avec d’un côté un intérêt pour la nature, et de l’autre côté, la mise en danger de cette nature. L’éducation des touristes doit-elle être réalisée par le secteur privé (hôtels, voyagistes, etc.) ou par l’état ? Par ailleurs, des amendes pourraient-elles être prévues pour sanctionner ce type de comportement ?
Gabriel Macaya / Il existe un problème central d’éducation, car nous ne disposerons jamais de suffisamment de force de l’ordre. Un important effort pédagogique est nécessaire. Il doit être conjoint, entre le secteur privé et l’état. Ce que vous relatez est une réalité. Certains touristes sont irresponsables. Protéger les espèces face à ces touristes est complexe car toute une psychologie de la transgression est à l’œuvre. Une partie de l’aventure et de la récompense pour ces touristes est la transgression. Il existe des amendes. Mais cette transgression dure parfois quelques secondes ou minutes. Il est donc difficile de sanctionner ces comportements.
Par ailleurs, la surveillance des frontières maritimes est très difficile. Les moyens à mettre en œuvre pour protéger les frontières maritimes sont énormes, chers et complexes. L’île Cocos est un paradis pour les requins. Et il existe un marché des ailerons de requins très important en Asie. Garder l’île et ses 200 kilomètres de périmètres s’avère cher impossible. Pour remédier à cela, le travail avec les opérateurs qui proposent le tour de l’île de Cocos a été très important. Ces opérateurs deviennent eux-mêmes les protecteurs des eaux territoriales du Costa Rica dans cette zone. Ils alertent les gardes côtes lorsqu’ils constatent une pêche de requins.
Le mot de la fin de Monsieur l’ambassadeur Gabriel Macaya
Insister sur l’éducation et la pédagogie est essentiel. Partons d’une considération simple : on ne peut pas conserver et protéger ce qu’on ne connaît pas. Un effort de connaissance important est donc préalablement nécessaire. La communauté scientifique joue un rôle central. Par ailleurs, protéger de l’extérieur, c’est-à-dire sans la participation des communautés locales, est impossible. Partager avec ces communautés et leur donner des rôles clairs dans les processus de conservation est indispensable. Or, ces communautés veulent savoir, avant de s’impliquer, ce qu’elles vont en retirer. Il est donc nécessaire de trouver le moyen de faire profiter les communautés locales de cette conservation et de l’exploitation contrôlée des ressources. Plutôt que de faire appel aux gros opérateurs, le gouvernement du Costa Rica fait appel à des groupes organisés dans les communautés. Si nous parvenons à allier connaissance, éducation et participation des communautés, nous avancerons vers un tourisme durable.
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