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Les grands chantiers de Jean-François Rial 

| Publié le 16 octobre 2019
Thèmatique :  Acteur privé   Projet solidaire 
             

A la tête de Voyageurs du Monde, Jean-François Rial aime les enjeux de sociétés et les débats d’idées. Et cela tombe bien car capitaine d’un groupe faisant voyager 150 000 personnes dans le monde, les débats en cours sur l’avion ne pouvaient le laisser indifférent. Porteur d’une vision forte, il a accepté de s’entretenir avec nous pour revenir sur les enjeux du réchauffement climatique, nous expliquer la Contribution Planète qu’il a lancée avec son équipe en début d’année et commenter quelques-uns de ses projets du moment.

Jean-François Rial@TOPRESADR

GC/ Comment va VDM ? Toujours une excellente croissance ? Combien de voyageurs par an partent avec vous ?

Le groupe Voyageurs du Monde va bien. Après une excellente année 2018 à 10% de croissance, il a connu une croissance plus modérée en 2019 soit autour de 4%. Sur la seule marque Voyageurs du Monde,  les chiffres sont de 15% de croissance en 2018 puis 3% en 2019. A l’heure d’aujourd’hui, l’ensemble du groupe (Comptoir des Voyages, Voyageurs du Monde, Terre d’Aventure, Nomade, Grand Nord Grand Large, Chamina, Allibert, Loire Valley Travel) fait voyager 150 000 clients chaque année, et la marque Voyageurs du Monde autour de 35 000 personnes.

GC/ Le sujet du moment est l’avion… On vous a beaucoup lu et entendu sur la question avec notamment la proposition d’une Contribution Planète. Pouvez-vous nous dire où en est ce projet ?

Avec mes équipes, nous avons eu l’idée d’une Contribution Planète, concrètement : absorber les émissions carbones que l’on émet en prenant l’avion en plantant des arbres et annuler ainsi à 100% les effets négatifs du CO2. A cette fin, nous plantons d’ores et déjà 4000 arbres par jour dans l’ensemble du groupe, ce qui nous permet d’absorber l’équivalent carbone que nous émettons. J’ai publié en ce sens une tribune dans le Monde en mars dernier et peu à peu, l’ensemble de la profession m’a suivi. Il faut dire que la taxe carbone non fléchée est inefficace et n’a aucun impact écologique. En plus, c’est une taxe de plus pour les compagnies aériennes qui n’en peuvent plus. Le plan Corsia prévoit la stabilité pendant 10 ans puis réduire 50% des GES à l’horizon 2050. Cela ne suffit pas. C’est la moitié du chemin. En ce sens, nous nous sommes engagés pour la Contribution Planète et nous avons peu à peu réussi à entraîner une partie de la profession avec nous.

GC/ Est-ce la Contribution Planète plutôt que la taxe kérosène ?

Je n’ai rien contre la taxe kérosène, mais il faudrait qu’elle soit fléchée, et qu’elle bénéficie spécifiquement au trafic aérien, à des projets d’absorption de carbone, sinon elle ne sert à rien. D’ailleurs plus qu’une taxe, on peut imaginer une réforme fiscale qui inclurait un impôt carbone pour l’ensemble des entreprises, avec des actions d’absorption du carbone tout azimut. Quand on sait que les recettes fiscales de l’Etat avoisinent les 300 milliards d’euros, on peut imaginer que cet impôt pourrait rapporter autour de 100 milliards. A la place, on pourrait alléger ou supprimer certaines taxes inutiles comme une partie de la TVA et de la CSG qui rapportent 150 milliards à l’état, aussi une part de l’impôt sur les sociétés, voire même une partie des cotisations sociales – et, au lieu de taxer le travail, on taxerait les polluants, en  transférant une partie des recettes de la taxe carbone au ministère du travail.

GC/ Et si l’on revient à la Contribution Planète, cela signifie que dorénavant, voyagistes, compagnies aériennes et autres professionnels du tourisme vont devoir consacrer une ligne budgétaire à l’absorption carbone ? Combien cela représente-t-il par exemple pour le groupe Voyageurs du Monde ?

Tout à fait, on ne passera pas à côté. On part sur des chiffres qui varient entre 5 et 20 € par tonne de CO2 émise. A Voyageurs, cela représente 300 000 tonnes de CO2 absorbées pour l’équivalent d’un million et demi d’euros de budget car via notre fondation, nous finançons des projets pour un montant de 5€ la tonne. Nous faisons notamment partie du fond d’investissement Livelihoods avec huit partenaires dont Danone, le Crédit Agricole, Michelin….  Ainsi, sur nos 40 millions de bénéfices nets, 10 millions sont redistribués aux salariés, deux millions vont à notre Fondation avec près d’un million et demi uniquement dédié à des projets d’absorption carbone.

GC/Avez-vous le sentiment que vos collègues voyagistes du SETO se sentent également concernés par cette urgence climatique ou est-ce toujours aussi difficile de faire bouger les pratiques et les mentalités ?

Pendant des années, j’ai eu l’impression de prêcher dans le désert. Aujourd’hui, je sens qu’on nous entend mais aussi que la pression des clients, des salariés, des collaborateurs est en train de faire changer la donne. Alors oui, ça bouge au SETO, puisqu’ils ont adhéré à ce projet de Contribution Planète.  Et à force de mettre le sujet sur la table, les choses commencent aussi à bouger un peu partout. En ce sens, Air France en la personne d’Anne Rigail vient de prendre une position forte puisque la compagnie a annoncé qu’elle s’engageait à la neutralité carbone immédiate pour ses vols intérieurs, à compenser 50% de tous ses vols sur dix ans et à être en carbone neutre d’ici 30 ans, ce qui est conforme aux préconisations du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). En outre Air France a connu une augmentation de 15% de son trafic aérien ces 15 dernières années mais a réussi malgré tout à baisser ses émissions de 30% (avions nouvelles générations, éco-pilotage, compensation, etc.), soit un écart de 60%. Il faut noter ces efforts.

Jean-François Rial, PDG de Voyageurs du Monde © Frédéric Stucin

GC/ Voyageurs du Monde fait partie des locomotives d’ATR, êtes-vous toujours aussi impliqués et comment voyez-vous l’évolution du label qui s’ouvre de plus en plus à d’importants TO à  l’image des galeries Lafayette ? 

ATR est un outil important pour les voyagistes qui souhaitent s’engager et qui  n’ont pas encore une grande connaissance des bonnes pratiques du tourisme durable. Il permet de sensibiliser et de donner une impulsion. Cela ne nous empêche pas d’aller plus loin et d’essayer de trouver des solutions plus exigeantes.

GC/ Quelle serait aujourd’hui encore la part du greenwashing au sein des nombreuses déclarations de bonnes intentions que l’on entend ici et là ?

Il y en a de moins en moins de greenwashing. Les entreprises ne sont pas idiotes et savent que cela peut se retourner contre elles. En revanche, il y a du gris, des projets qui tombent à côté, des sujets controversés. Je me définis personnellement comme un écologiste libéral et suis souvent consulté sur différents sujets. Par exemple sur le carbone, c’est l’absorption qui a un sens car elle annule les effets du réchauffement généré par les GES, pas la compensation, où certains projets tombent parfois à côté ou ne sont pas sérieux. Quand on absorbe, on assure la neutralité, c’est une vraie compensation, or parfois il y a de l’évitement. Quand on déclare que l’on empêche d’émettre du carbone en finançant des centrales solaires en Indonésie par exemple, je ne suis pas convaincu. A mon sens, tout cela c’est du gris.

C/ Etes-vous également partisan d’un changement de pratiques chez les consommateurs et voyageurs pour moins prendre l’avion ?

La problématique est la réduction du carbone, pas de prendre ou de ne pas prendre l’avion. Il faut arriver à rester dans les objectifs du Giec qui consiste à réduire de 50 % nos émissions de CO2 pour rester sous le seuil critique de réchauffement climatique (+1,5 °C) d’ici dix ans, et dans une deuxième phase, atteindre la neutralité carbone en 2050. Tout le monde est concerné. Et ceux qui disent qu’ils ne prennent plus l’avion nient par là son utilité sociale, économique, etc. Le vrai problème est donc la répartition des crédits carbone. A titre personnel, je fais mon bilan carbone et je plante des arbres pour absorber mes voyages. Et pour éviter les polémiques, je compense à 200% à titre personnel quand je compense à 100% dans mon entreprise.

GC/ On vous entend souvent vous exprimer et prendre des positions pas forcément classiques pour un patron d’agence de voyage. Toujours pas de velléités politique ? Chez les écologistes ?

Non, je suis trop occupé, et puis je me sens plus utile en influençant qu’en étant un élu, je n’aurais d’ailleurs pas leur capacité à supporter les critiques permanentes. Mais j’ai été proche de Macron, qui m’a déçu, et je vais soutenir à fond Anne Hidalgo à la mairie de Paris, parce qu’elle est à mes yeux la plus écolo et la plus crédible. Je ne comprends d’ailleurs pas les accusions injustifiées dont elle a fait l’objet.

GC/ Une fondation, votre engagement pour les migrants, le reffetorio à la Madeleine, une ferme agroécologique, Voyageurs du Monde depuis tant d’année, des interviews de plus en plus « humaines », préparez-vous une transition, le grand saut, un changement radical de vie ou est-ce juste une forme de sagesse ?

Tout ce que je fais, tout ce que je dis est sincère. Et je tiens à poursuivre mon combat pour l’écologie le plus longtemps possible. Alors, si je veux convaincre, il faut aussi que l’on me connaisse mieux. Je n’ai rien à cacher, j’ai toujours fonctionné sans filet. Et je suis persuadé comme les grands philosophes qu’avant de changer le système, il faut se changer soi-même. Alors, si je peux influencer quelques personnes, ce sera déjà cela. Un changement de vie ? Peut-être. Je n’en sais rien. Ce qui est sûr, c’est que je veux consacrer toute l’énergie qui me reste à la transition écologique. J’ai ouvert en 2018 avec mon fils Tom une ferme maraîchère bio dans le Perche – « Une Ferme du Perche » – pour laquelle nous avons fait appel à un expert en agroécologie, Jean-Martin Fortier, une personne formidable. Notre objectif est de produire en local des aliments bios et bons avec à l’avenir le projet d’un bar-restaurant bio, zéro-déchet, locavore et accessible. On peut d’ores et déjà la visiter.

Paysage@GClastres

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Les grands chantiers de Jean-François Rial  | ©VOYAGEONS AUTREMENT
Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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