Les routes gourmandes des montagnes du JURA
Dans le code tacite du randonneur accompli, il y a la promesse de ces chemins balisés que l’on enfile comme autant de perles à son chapelet d’étapes, mais il y a aussi une quête plus intime, celle d’aller à la rencontre de tout ce qui fait terroir, les croix, les églises, les villages, les fontaines, mais également ces épiceries et petits commerces qui viendront réconforter la pause et laisser un gout de Jura au fin fond du palais. Laissez-moi vous conter les quatre découvertes gourmandes de notre périple faisant écho à des histoires insolites et à des lieux non moins surprenants.

La fruitière du fort des Rousses
S’il est le compagnon incontournable de tous les randonneurs qui s’aventurent sur les routes du Jura, le comté a plus d’un tour dans sa meule et se découvre parfois là où on ne l’attendait pas. C’est notamment le cas au fort des Rousses, édifié par Napoléon au 19e siècle et qui avait alors vocation à surveiller la frontière suisse face à la menace d’invasion des armées autrichiennes. Toutefois, après quelques faits de guerre, le fort deviendra un lieu d’entraînement des soldats et garnisons et inspirera un Commando Games, aujourd’hui un parc aventure type parkour. Quant aux kilomètres de galeries qui courent sur 50 000 m2 de caves voutées, les voilà transformées en une immense fruitière où on affine la star locale, le comté Jura Flore. Fascinante, la fruitière est ouverte aux visiteurs et permet de comprendre toutes les étapes de la fabrication de ce roi des fromages.
Si les explications pédagogiques des guides permettent donc d’appréhender combien le comté est un fromage de caractère, le moment fort de la visite est sans aucun doute la descente dans les impressionnantes caves d’affinage où des milliers de meules sont entreposées. Des galeries souterraines qui peuvent compter jusqu’à 140 000 meules. Alors, pour conserver ce trésor, la température est parfaitement contrôlée, en témoigne cette entêtante odeur d’ammoniaque qui imprègne l’atmosphère. Régulièrement retournées et frottées à la main, les meules s’alignent telle une cathédrale fromagère dans une lumière tamisée où les tons de jaunes et d’ambre percent de l’ombre.

En fonction de son âge (12, 18, 24, 36 mois), le comté peut être doux, fruité ou plus corsé. En bouche, les plus aguerris pourront percevoir des notes d’amandes grillées, de beurre fondu, d’épices ou d’agrumes. Issu du lait de vaches Montbéliardes très adaptées à la transformation fromagère grâce à leur richesse en matières grasses et protéines. Très calorique, mais beaucoup moins salé qu’on ne pourrait l’imaginer, le comté et notamment le vieux comté cache sous ses petits cristaux craquants de la tyrosine, un acide aminé qui se forme lors du processus de dégradation des protéines pendant l’affinage du fromage. Impossible d’achever cette leçon sans ramener un fromage, ni penser au corbeau de la fable, qui, honteux et confus, Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus…
La fée verte de Pontarlier
S’il est courant de trouver un morceau de comté au cœur du casse-croûte des randonneurs, il devient bien plus rare que leurs gourdes cachent dans leurs cols roulés quelques goulées d’absinthe. Et pourtant, cette plante fut une star locale en son temps, en témoigne les nombreuses distilleries que l’on croise sur les chemins. Alors, pour découvrir l’histoire de celle que l’on nomme aussi la fée verte, il faut se rendre au Musée de Pontarlier, un bel ensemble logé dans une demeures du 15e siècle. On y découvre qu’avant d’être un breuvage à la couleur verte bien reconnaissable, l’absinthe est surtout une plante aux longues tiges surmontées de fleurs jaunes que l’on trouve en nombre dans les grandes prairies des montagnes du Jura. C’est en 1805 que Henri Louis Pernod, venant de Suisse, installe la première distillerie à Pontarlier. La production se développe rapidement et la « Fée Verte » est distribuée dans toute la France puis bientôt dans le monde. Au début du 20e siècle, Pontarlier et ses alentours comptent une vingtaine de distilleries employant plus de 3000 personnes (pour une population de 8000 âmes !) et assurant la moitié de la production mondiale ! En 1906, la ville se targue d’abriter 111 bistrots, soit 1 pour 26 consommateurs potentiels… il faut dire qu’à cette époque, Pontarlier est un centre d’entraînement de l’Armée Française et accueille chaque été près de 10 000 artilleurs !

Mais, un jour de 1915… l’absinthe est frappée d’interdiction. Sa production est purement et simplement interdite. Problème de santé publique, levée de bouclier des lobbies viticoles, molécule du fou, la plante est peu à peu remplacée par d’autres, tel l’anis, qui deviendra également célèbre dans son antre pontissalien. Le musée n’oublie toutefois pas l’histoire et surtout, combien la consommation d’absinthe était riche de tout un rituel, en témoigne les verres à pied, les cuillères percées de trous ou de motifs décoratifs permettant au sucre de fondre, mais aussi les fontaines à absinthe, et toutes ces illustrations et affiches originales.
Depuis quelques années, il est à nouveau possible de gouter de l’absinthe au cœur des montagnes du Jura. La réglementation a une fois de plus évolué, et la plante a été réhabilitée en 2011 suivant l’abrogation de la loi de 1915. Désormais, tous les produits qui se nommaient spiritueux à base d’Absinthe peuvent à nouveau user du seul nom d’Absinthe. Quelques distilleries locales recommencent même à proposer le vert breuvage. Et il existe une route de l’Absinthe, un itinéraire touristique franco-suisse qui va de Pontarlier à Noiraigue (Suisse) et permet de découvrir distilleries, séchoir, musées et toutes sortes d’activités dérivées (brasseries, chocolats, pâtisseries, etc).
Caches, fantômes et mystères du Châteleu
A l’heure du thé, le randonneur fatigue, sa gourde est souvent vide, ainsi que sa musette, et le voilà guettant les opportunités des bords de chemin. Alors, si les fruits à glaner boudent sa route, il lui reste parfois La rencontre opportune. Elle se matérialisa pour nous en l’apparition du Vieux Châteleu au bout de la route, à la fois lieu-dit situé près de la commune des Bréseux (non loin de Morteau) mais aussi auberge « Au cœur des rêves » perchée sur les hauteurs. Une auberge accueillante qui nous ouvrit les bras et les portes où nous pûmes d’abord découvrir le sirop de sapin, très désaltérant, fabriqué à partir de jeunes pousses de l’arbre. Nous eûmes alors l’idée de commander une part de tarte aux myrtilles quand un couple décidé eut la même pensée et rafla la dernière part sous nos yeux envieux. Dommage, car il s’avéra que La Tarte Aux Myrtilles du Châteleu est une vraie institution, préparée avec des myrtilles sauvages locales, une pate maison, autant dire que le patron n’allait pas dégeler une tarte industrielle pour nos beaux yeux…

Mais il arrive que le fantôme d’une tarte laisse autant voire plus de souvenir qu’une tarte réellement dégustée. Et surtout au Châteleu, un lieu isolé « Au cœur des rêves », un peu à part, où la légende de la Dame du Châteleu fait encore frémir pendant les veillées. Au Moyen-Âge, cette femme d’une grande beauté fit disparaitre nombre de prétendants jusqu’à disparaitre à son tour. Les années et les siècles passèrent et sûrement bien de belles histoires encore. Ainsi pendant la deuxième guerre mondiale, le Châteleu fut aussi le théâtre d’autres fantômes, utiles et engagés cette fois, point de passage des résistants qui utilisaient ce lieu éloigné de tout pour cacher des personnes recherchées, planifier des opérations et organiser des rassemblements secrets. Parmi les figures qui s’illustrèrent alors, Michel Hollard, fondateur du réseau « Agir », qui joua un rôle crucial en collectant des d’informations stratégiques et en sauvant de nombreuses vies. L’Auberge est d’ailleurs située sur le chemin Michel Hollard, une randonnée qui reprend le parcours emprunté par le résistant scandée de plusieurs panneaux informatifs racontant les exploits de réseau.
Le Tuye du papy Gaby
Enfin, la journée s’achève, et en soirée, après une bonne journée de marche, on est heureux de s’attabler avec des compagnons randonneurs pour un diner partagé. Les auberges et gites d’étape ont alors à cœur de faire découvrir quelques-unes des spécialités locales tout en rassasiant ces marcheurs affamés, et quoi de mieux pour accompagner une purée revigorante que la saucisse de Morteau… l’autre star locale avec la Montbéliard ! Des saucisses de renom qui ont aussi leur protecteur, Gabriel Marquet, le papy Gaby et son tuyé, que l’on peut découvrir en quittant exceptionnellement les chemins pour rejoindre la commune de Chaux-des-Prés dans le Haut-Doubs, l’occasion d’admirer le plus grand tuyé de la région, soit ces grands bâtiments de pierre ou de bois dont les cheminées hautes permettent de fumer les saucisses de façon traditionnelle. Celui du papy Gaby date des années 1970, tant cet ancien boucher de Villers-le-Lac a voulu en faire un monumental (18 mètres, le plus grand de la région !). Il faut dire qu’avec l’apparition du chauffage centrale au sein des fermes comtoises, le papy Gaby avait observé que les anciens abandonnaient progressivement leur cheminée et que le fumage traditionnel risquait de se perdre…

Alors, une visite chez le papy Gaby, c’est à la fois une découverte instructive et pédagogique permettant de comprendre le fonctionnement d’un tuyé, une histoire illustrée que l’on écoute dans le petit espace musée en accès libre, mais aussi la découverte (accompagnés, on vient vous chercher !) de l’immense cheminée pyramidale. Là, il vous suffira de de lever la tête pour observer, au-delà de l’immense foyer central circulaire, des milliers de saucisses pendants comme autant de futures condamnées à l’assiette. L’expérience s’achève par une dégustation et un passage (non obligatoire mais fortement conseillé) par la boutique, car cette florissante entreprise familiale abrite aussi un antre des tentations, où au-delà des saucisses et autres charcuteries, on retrouve tous les délices des montagnes du Jura glanés sur les chemins, les fromages (comté, morbier, bleu de Gex, Mousseron, Mont-d’or, etc.), les gourmandises sucrées aux myrtilles (bonbons, sablés, chocolats, etc.), les liqueurs et sirop (absinthes, anis, gentiane, sapin, etc.), de quoi prendre quelques bons kilos rien qu’avec les yeux, mais aussi une bonne dose de sérotonine puisque les montagnes du Jura, on ne cesse de vous le répéter, c’est du plaisir en barre de la tête aux pieds, jusqu’aux papilles !
——— Aller plus loin ——-
A découvrir :
Les montagnes du Jura : https://www.montagnes-du-jura.fr/
Les parcours de Commando Games des Rousses.
Fort des Rousses, 39220 les Rousses 03 84 60 02 55
Fruitière du fort des Rousses :
LE FORT DES ROUSSES Fort des Rousses | 39220 LES ROUSSES | Tél.: 03 84 60 02 24
Visitez le Fort des Rousses et ses caves à Comté uniques au monde ! (fort-des-rousses.com)
Musée de Pontarlier
Au centre-ville, sur la place principale.
Ouvert du lundi au vendredi de 10 h à 12 h et de 14 h à 18 h, les samedi, dimanche et jours fériés de 14 h à 18 h.
> Fermé le mardi, les 1ers et 2 janvier, 1er mai, 1er novembre, 25 décembre
Le musée municipal – Ville de Pontarlier (ville-pontarlier.fr)
Distillerie Les Fils d’Émile Pernot
18 – 20 Le Frambourg, 25300, La Cluse-et-Mijoux FRANCE
+33 (0)3 81 39 04 28
Du lundi au vendredi : 9h – 12h / 14h – 18h
Le samedi matin : 10h – 12h
L’Auberge « Au cœur des rêves » du Vieux Châteleu
Lieu-dit Le Vieux Châteleu – 25790 Grand’Combe Châteleu
03 81 67 11 59
Contact & réservations – Au Cœur des Rêves (chateleu.com)
Le tuye du père Gaby
Visite Du Tuyé Du Papy Gaby Et Vente De Salaisons Fumées – Le Tuyé Du Papy Gaby (tuye-papygaby.com)

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Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Radio France, Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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