Journal d’un voyageur dans les contreforts du Tibet
Est-ce parce qu’il a écrit récemment Ciels au-delà du ciel, une belle somme sur la Chine contemporaine que Norbert Rouland, spécialiste d’anthropologie juridique, a souhaité s’élever encore. Toujours est-il qu’il nous livre ici quelques lignes extraites d’un journal de voyage tenu du 13 octobre au 11 novembre 2023 au cours d’un voyage en Chine qui l’a mené de Shanghai au Yunnan jusque dans les contreforts du Tibet, au Shangri-La.

Journal de Norbert Rouland : Cérémonie tibétaine au monastère de Songzanlin.
Le 5 Novembre, nous partons avec mon guide visiter le monastère de Songzanlin. Ce monastère était l’une des 13 grandes lamaseries de la secte des Bonnets jaunes. L’un des deux « bouddhas vivants » (tulku) qui le dirigeait a suivi le Dalaï-lama dans son exil indien à Dharamsala. Il a été presque entièrement reconstruit depuis 1982. Avant sa destruction, 1600 moines pouvaient s’y rassembler ; ils ne sont plus actuellement que 600. Au centre du plus grand temple, un bouddha géant. Les murs sont ornés de peintures tibétaines. Le rouge domine, couleur de la science. On voit aussi quelques bouddhas en blanc, couleur de la compassion.
Il faut monter une bonne centaine d’escaliers pour y accéder, ce qui demande du temps, à plus de 3300 m d’altitude. Ici encore, de nombreuses touristes chinoises qui portent des vêtements tibétains. Je me demande pour quelle raison. S’agit-il simplement d’un déguisement pour pouvoir prendre des photos ? Dans beaucoup de cas, certainement. Mais peut-être que dans d’autres cas , cela témoigne d’un respect pour la culture tibétaine ? À l’entrée des divers temples qui composent l’ensemble monastique, je remarque que plusieurs jeunes Chinoises et Chinois s’inclinent devant des bâtons d’encens et prient sincèrement. À l’intérieur du temple, des offrandes aux diverses statues de Bouddha : des billets de banque à l’effigie de Mao (dont une grande statue trône sur la place centrale de Shangri-La), mais aussi offrandes d’aliments et de boissons.

À l’intérieur d’un temple, je vois le portrait d’un jeune moine, c’est le Panchen-lama, une autre autorité tibétaine, âgé seulement de 36 ans, qui est l’interlocuteur officiel du gouvernement chinois. Il vit à Lhassa, mais dans un autre monastère que le Potala, qui était la résidence du dalaï-lama. J’ai chance de pouvoir assister à une cérémonie à l’extérieur du temple. Un moine est installé sur une chaise haute. Il brûle divers objets que de plus jeunes moines, ses assistants, lui apportent. Des petites offrandes matérielles, mais aussi divers papiers sur lesquels les pèlerins ont inscrit des vœux : les brûler, c’est les faire monter vers le ciel. Un petit orchestre de moines joue pendant la cérémonie : des cymbales, un grand tambour, des sortes de hautbois ; les moines font tourner leurs moulins à prières. Je remarque que plusieurs pèlerins font la triple prosternation. Il s’agit d’une cérémonie, destinée aux dieux de la montagne : les Tibétains leur demandent un bon climat, et les moyens de vivre en paix.
Évidemment, le sceptique pourra toujours dire que ceci est de la mise en scène. Personnellement, je ne le crois pas, car ces attitudes paraissent toutes authentiques. Je demande à mon guide comment le parti communiste peut autoriser ces cérémonies de nature religieuse. Il me répond qu’il le fait pour préserver la culture tibétaine. C’est évidemment étrange pour un Occidental. Par ailleurs, je connais une étudiante chinoise francophone qui vit entre Paris et Aix-en-Provence. Il se trouve qu’elle fait sa thèse d’anthropologie juridique sur le Tibet et qu’elle s’y rend donc fréquemment. Je lui transmets quelques images de cette cérémonie et elle me confirme qu’il ne faut y voir aucune mise en scène : cette cérémonie est authentique, les pèlerins et les officiants ne sont pas des figurants.

Dans un autre monastère, mais situé dans le Sichuan, peuplé presque uniquement de femmes et nommé la Cité rouge, il y a une Académie bouddhique encouragée par le gouvernement chinois. Ceci permet de réviser certains points de vue. Quand il y a des troubles que le gouvernement chinois qualifie de « terroristes », la répression est sévère.
Mon guide , un Naxi qui est allé souvent au Tibet, me dit que la plupart des Tibétains sont écartelés entre leur respect pour le dalaï-lama et leur gratitude pour le gouvernement chinois qui a entrepris beaucoup de travaux destinés à désenclaver le Tibet, dans une région difficile d’accès. La culture tibétaine n’est pas systématiquement détruite comme pendant la Révolution culturelle : ce monastère attire beaucoup de touristes. Ce qui pose la question que nous aborderons une autre fois du tourisme dit ethnique….
Par Norbert Rouland.
———- Aller plus loin ————-
Lire. Ciels au-delà du ciel. La Chine et les Chinois : croiser nos regards, Norbert Rouland, Pacifica, Paris, 2022, 418 pages, 24,70 euros.
Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Radio France, Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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