#TourismeDurable
Pacifique Sud Exotique

Rencontre avec Jérôme Arnaud, directeur de la station de La Grande Motte

Construite au début des années 1960, La Grande Motte a longtemps incarné ces villes nouvelles aménagées dans le cadre du projet Racine conçue pour accueillir les vacanciers forts de leur 3e semaine de congé payé.  Chantre du tourisme de masse, souvent dénoncée pour son architecture audacieuse dessinée par Jean Balladur, elle a aujourd’hui fait le choix d’assumer son identité et de renverser les regards longtemps portés sur la mer pour oublier la ville, en promouvant sa singularité et sa vision, mais aussi un tourisme différent ?

Jérome Arnaud

Vue aérienne de la Grande Motte@C.Baudet

VA/ Pouvez vous nous expliquer la singularité de votre parcours ?

Mon parcours a  alterné  les stations de montagne et les parcs naturels. J’ai eu l’occasion de travailler pour le Parc National des Cévennes, de conduire des missions pour le Parc Naturel Régional  de Camargue, de participer à la fondation du PNR des Grands Causses et de diriger le PNR des Pyrénées catalanes. Evidemment, entre une station de ski et un PNR, les enjeux ne sont pas du tout les mêmes. D’un côté on est dans une forte logique de viabilité  économique, à résultat plutôt immédiat et en contexte concurrentiel, et de l’autre on travaille à installer un développement durable sur une zone à forts enjeux transversaux : tourisme, patrimoine, énergies, déchets , ressource en eau etc…  Pendant des années j’ai vécu la méfiance réciproque que ces deux univers se renvoyaient; j’étais suspecté dans les Parcs de porter trop d’attention aux acteurs de l’économie touristique, et inversement dans les stations d’avoir trop de tendresse pour l’environnement et le développement durable ! Aujourd’hui, les deux univers se sont rejoints , ils ne sont plus opposés mais au contraire mis en synergie. Et c’est ce qui m’a séduit immédiatement dans le projet que portait le maire de La Grande Motte : il souhaitait mettre en œuvre un projet  de développement associant  les deux  visions. Génial  et avant gardiste !

VA/ Vous êtes arrivés à la Grande Motte il y a six ans, quel était votre « mission » pour cette ville qui a été un fort symbole du tourisme de masse dans les années 60 ?

Le pari était double  pour la municipalité en place : faire émerger véritablement la station touristique – image, offre, développement , services… – et réussir la mutation de la ville permanente, c’est-à-dire moderniser beaucoup d’équipements et les préparer à accueillir une démographie plus importante et plus exigeante dans un avenir proche. Et même au seul niveau de la station touristique , il fallait s’atteler aux deux dimensions : réussir économiquement chaque saison, parce que c’est vital, et poser des bases solides pour un tourisme durable. Ça requiert beaucoup de transversalité, c’est pour cela que le poste de directeur de station a été créé, peu habituel en milieu littoral. On s’est dotés d’un Schéma de développement touristique, une sorte de feuille de route pour plusieurs années, et on la tient plutôt bien. On a osé des trucs un peu fous, on a renversé l’image pénalisante de la station de tourisme de masse, on a beaucoup tenté, beaucoup innové, on a structuré trois axes : architecture, nautisme et nature. On a beaucoup réfléchi aux valeurs que La Grande Motte devait porter, celles héritées de ses créateurs et de sa destinée, et on s’y est adossé. Et quand on a le sentiment qu’on est dans le vrai, dans l’identitaire, dans le légitime, quand l’enthousiasme et les énergies des équipes phosphorent, le résultat est toujours au rendez vous. Le changement de « statut » – passer d’une station balnéaire de masse à une destination éco-patrimoniale- a été une phase extraordinairement porteuse d’énergies nouvelles au sein des grands-mottois et des équipes.

Jérome Arnaud

Promenade des dunes@OlivierMaynard

VA / Cela s’est-t-il traduit par une évolution des clientèles ?

Clairement ! La Grande Motte reste- et restera toujours – une station  accueillant du tourisme de masse en plein été, elle a été conçue pour cela et sa taille (100 000 personnes en été) continue d’en attester mais en dehors de l’été, un tourisme plus chic s’est développé. Le label Patrimoine du XXème siècle, les nouvelles orientations du développement (architecture, nautisme, environnement, tourisme d’affaires) et les efforts accomplis pour la mutation ont changé les regards sur La Grande Motte. La station met désormais en avant une identité et une offre « culturelles » qu’elle n’aurait pas osé affirmer il y a quelques années. L’effet a été de faire changer les comportements des vacanciers, ils ont une nouvelle lecture de la station, et d’attirer une clientèle plus curieuse, plus sensible au patrimoine et à l’environnement, surtout en dehors de la période de plein été. Cette montée en gamme de la clientèle a été concomitante à une montée en gamme des hébergements : l’hôtellerie et les grands villages clubs sont désormais groupés dans une norme à 3 et 4 étoiles. La station a beaucoup gagné en solidité et en vocation à durer ainsi.

VA/ Existe-t-il toujours une place pour les clientèles moins favorisées, pour un tourisme plus social ?

Historiquement La Grande Motte n’a pas été voulue ni conçue, littéralement, pour du Tourisme Social et Solidaire mais pour des « Vacances pour Tous ». C’était le vocable de l’époque, et c’est une notion assez différente socialement, qui signifie que l’offre et l’organisation de la station doivent s’adresser au plus grand nombre et à tous les étages sociaux. Certes, les premiers hébergements qui ont été construits relevaient du tourisme social (VVF, Léo Lagrange etc…) mais rapidement la construction du Frantel 3 étoiles a mieux positionné l’ambition : une gamme large, pour tous les goûts et tous les besoins. Aujourd’hui, La Grande Motte permet encore à tous les budgets de trouver leur offre de vacances, même s’il faut reconnaitre que le développement a été franchement aspiré et organisé vers le plus haut de gamme. Et l’ambition politique est assumée dans ce sens, sans rien de discriminant. La Grande Motte n’oublie pas son ADN, la mixité sociale est encore une réalité sauvegardée, mais elle est devenue l’une des stations les plus chics de la région, son développement architectural et culturel y a beaucoup contribué, et le peu de foncier disponible accentue cette orientation ; tout ce qui est rare est cher… Disons pour synthétiser que l’enjeu d’aujourd’hui n’est plus sur le Tourisme Social et Solidaire, il a glissé au fil des années et des changements de valeurs de la société vers un autre enjeu, celui du Tourisme Durable. Dans le tourisme  la valeur des vacances a toujours  été liée à la vacance des valeurs…

Jérome Arnaud

Couple dinant sur le port@HenriComte

VA/ Comment faire du tourisme autrement aujourd’hui à la Grande Motte ?

Et bien justement, en se concentrant sur le pari du tourisme durable ! Jean Balladur a créé un modèle urbain de ville durable, en prise totale et indissociable d’un environnement naturel sacralisé, conciliant ville permanente et station touristique, voitures et cheminements piétons, etc.. Des architectes et étudiants viennent du monde entier pour voir son modèle. Les orientations politiques sont fortes vers un fonctionnement de « laboratoire » de tourisme et de ville durable, en accord avec toutes les valeurs que l’architecte  en chef nous a léguées. Les initiatives sont nombreuses : centre de soins des tortues, gestion environnementale très pointue, implication dans des projets de Recherche et Développement de la biodiversité marine, actions pédagogiques vers les vacanciers et les scolaires, installations de ruchers sentinelles, protection du cordon dunaire, recherche de modèles de chauffage par l’eau de mer etc…etc… Pour comprendre ce que nous faisons à La Grande Motte, il suffit de résumer les valeurs que Jean Balladur nous a transmis : la créativité, l’audace, le fait de cultiver l’avant gardisme, ou d’aller jusqu’aux frontières de l’utopie…

(A suivre !)

La Grande Motte

Quartier du Point Zéro@O.Maynard

 


Rencontre avec Jérôme Arnaud, directeur de la station de La Grande Motte | ©VOYAGEONS AUTREMENT
Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Radio France, Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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