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Premières Universités d’Automne de la transition du tourisme 

Les 29 et 30 novembre derniers, l’Université Toulouse Jean-Jaurès (ISTHIA) organisait à Foix, en partenariat avec Défisméd, les premières « Universités d’Automne de la transition du tourisme facteur de développement territorial durable ». Durant deux jours, alternant visites de terrain et échanges, la centaine de participants a pu développer sa réflexion sur les formes de tourisme capables d’apporter un vrai développement durable aux territoires. Une réussite totale, appelée à être renouvelée et sur laquelle Pierre Torrente fait pour nous le point…  

 

Pierre Torrente ouvrant les travaux

Voyageons Autrement : Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Pierre Torrente : Directeur adjoint de l’ISTHIA, je suis un géographe enseignant qui s’est spécialisé dans les relations entre tourisme et développement durable. Un intérêt qui m’a amené à travailler 20 ans sur différents continents : Amérique latine, Asie, Afrique… pour confronter les différentes formes de tourisme. Et réaliser que si les productions touristiques ici et là étaient différentes a priori, les process facteurs de développement mis en œuvre étaient souvent semblables dans leur nature profonde.

VA : Pourquoi ces premières universités d’automne de la transition du tourisme, consacrées au « tourisme, facteur de développement territorial durable » ? Et pourquoi maintenant ?

PT : L’organisation de ces universités aujourd’hui n‘est pas un coup d’essai et ne doit rien non plus au hasard. Elles arrivent dans un contexte où à la fois les touristes et les décideurs ont pris conscience de la complexité que posait la question du tourisme et du fait que la manière dont il se déployait actuellement n’était pas toujours suffisant et touchait souvent ses limites comme ont pu le montrer les récents évènements de Venise ou Barcelone. En conséquence, un besoin de se questionner s’est imposé à tous, une écoute favorable à l’organisation de travaux de ce genre. En dehors de la délocalisation, ces universités ont été organisées en Ariège, à Foix parce que ce territoire lui-même doit trouver un second souffle en matière de tourisme.

Des présentations…

VA : Quel était le but de ces universités ?

PT : Le premier but, celui de toute université, était de faire se rencontrer les différents acteurs. Une dimension d’autant plus essentielle que le débat s’organise dans le cadre de sciences humaines, c’est-à-dire un domaine où il n’y a pas qu’une seule approche, mais plusieurs : culturelle, sportive, économique, etc. Face à la complexité des situations, tout doit commencer par un tel rapprochement des perspectives.

VA : Pourquoi avoir organisé ces universités en partenariat avec l’association Défismed ?

PT : Nos structures se connaissent et se côtoient depuis 2 ans. Bien assez pour s’être rendu compte que si nous poursuivions les mêmes objectifs, nous avions des approches et fonctions différentes, complémentaires. Parce que l’on est plus fort à plusieurs, Défismed anime un réseau méditerranéen d’acteurs du tourisme durable reposant sur le partage des bonnes pratiques et l’inclusion de territoires éloignés qui sinon resteraient en marge, à l’écart. Nous, depuis 20 ans, nous accompagnons ces territoires dans leurs initiatives et projets de développement. Or, même si nos experts font tout pour accompagner vers l’autonomie, lorsque l’accompagnement se termine, on note toujours un certain effondrement de la dynamique mise en place. Ce que peut empêcher l’action de Défismed.

VA : Qui participait à ces journées ?

PT : Des chercheurs issus des deux côtés de la Méditerranée, des personnels des ministères, agents de développement, porteurs de projets individuels également ainsi que nos étudiants ; nous tenions vraiment à ce qu’ils partagent cette dimension collective et y participent. Une centaine de participants physiques en tout et, surprise ! de 700 à 1000 personnes selon les moments sur internet.

…Des tables rondes…

VA : Impossible d’entrer dans le détail des échanges, néanmoins, que retenir d’essentiel de la première journée (mercredi 29 novembre) consacrée à la place du tourisme dans le développement territorial ?

PT : Deux éléments essentiels. Tout d’abord, évidence, que les projets comme les plus belles réussites sont toujours l’affaire d’individus motivés, ayant cru et s’étant incarnés dans leur projet. Il n’y a pas de recette académique. Nous avons croisé des projets terriblement improbables à nos yeux qui n’auraient jamais été validé au sein d’une école quelconque et qui, pourtant, ont débouché sur des réussites formidables.

Le second point, c’est que l’on s’aperçoit que les projets qui fonctionnent sont cousus main, réalisés sur mesure aux exactes dimensions du territoire dans lequel ils s’insèrent et qui a guidé point par point leur conception. Il faut donc tempérer nos envies de modélisation, un même projet pouvant connaître des sorts très différents selon l’endroit où il est réalisé.

VA : Cette journée comprenait plusieurs visites sur le terrain à la rencontre d’acteurs innovants. Pouvez-vous nous en donner un exemple ?

PT : Alzen est un petit village ariégeois : une quinzaine de familles, 260 habitants, 51 élèves à l’école. Un de ces petits villages de nos campagnes qui se meurt. Et justement, deux habitants étaient décédés coup sur coup lorsque le maire décida de racheter leurs maisons. La première pour la mettre en production locale (élevage, culture), quant à la seconde, ferme typique de la région, il demanda qu’on ne touche à rien. Ainsi naquit un écomusée du patrimoine quotidien qui attire aujourd’hui 15.000 visiteurs par an d’où l’adjonction d’une activité de restauration associée à un chantier d’insertion qui a créé 70 ou 80 emplois ! Le type même de projet qui, sur le papier, en termes de marketing, ne pouvait PAS marcher. Et pourtant : l’engagement des élus a prouvé le contraire. Tout est, toujours, une affaire d’hommes et de femmes.

VA : La seconde journée (jeudi 30) s’est ouverte sur une table ronde : comment le tourisme peut-il être facteur de DD ? Pouvez-vous en dire quelques mots ?

PT : Deux grands points se dégagent. Tout d’abord le fait que le tourisme pur fonctionne d’autant mieux qu’il se positionne comme une activité complémentaire. Dans les Pyrénées, les stations de ski ont du mal à fonctionner car elle ne repose que sur l’unique activité ski, associée à un risque climatique très élevé. Les canons à neige ne peuvent pas tout résoudre. Pour diminuer l’impact de ce risque sur la fréquentation, il faut que les gens, s’ils viennent, trouvent également autre chose : de l’artisanat, des visites et centres d’intérêt… une diversification qui est un message très difficile à faire passer.

Le second point, c’est que le tourisme fonctionne selon un cycle immuable initié dès l’origine même du phénomène : une élite va créer une destination et la faire connaître ; suite à quoi, la masse va suivre et l’élite migrer ailleurs, loin de la foule et inventer une nouvelle destination. D’abord la Côte d’Azur, puis les stations de ski et balnéaires, puis les pays lointains, c’est toute l’histoire du tourisme. Or, les nouvelles formes de tourisme fonctionnent exactement de la même manière : après avoir attiré l’élite en se donnant les moyens d’un tourisme durable d’avant-garde, une destination va se voir « envahie » par la masse tandis que l’élite va la fuir. La question n’est donc pas tant de mener des projets de développement durable, ce que l’on sait faire désormais, mais d’inventer une troisième phase : faire cohabiter l’élite et la masse sur un même territoire avec un enjeu majeur qui est de rendre durable ce tourisme de masse, inévitable, sachant qu’un touriste, en Tunisie par exemple va utiliser 500 litres d’eau durant son séjour soit 100l/jour  là où l’habitant n’en consomme que 30. Tels sont les deux défis majeurs à relever dans les années qui viennent.

Mais aussi du terrain !

VA : Il a ensuite été question du dispositif CHEMIN. De quoi s’agit-il et qu’apporte-t-il ?

PT : Cela fait 15 ans maintenant que l’université l’utilise pour accompagner les porteurs de projet. Pour qu’un projet décolle en effet, il faut parvenir à créer une dynamique territoriale. Et la première phase à mettre en place pour y parvenir consiste à créer une résidence d’experts sur 4 ou 5 jours. Des experts qui, sur place vont, avec les acteurs concernés, vont co-construire la feuille de route du projet. Si cette première phase se concrétise positivement et que la dynamique prend, on peut alors passer à l’étape suivante de formation et accompagnement en ingénierie. Sachant que nous mettons de plus sur notre plate-forme dédiée, divers outils d’aide à la décision et qui vont accompagner les porteurs de projets. Vous avez par exemple Janus centré sur le développement économique des itinéraires de randonnée ou encore ACTT qui mesure la capacité d’un projet à intégrer le développement durable et le changement climatique. L’ensemble très simple, utilisable par tous, même les personnes non spécialistes du tourisme, les outils proposés se chargeant du travail d’analyse.

VA : On a également assisté à la présentation de projets de territoires impliqués.

PT : Oui, car la création de ce dispositif et des outils qui y sont associés émane d’une demande de plus en plus importante des territoires. Ainsi, le département de la Dordogne nous a-t-il demandé de l’accompagner pour répondre à un appel à projets d’un programme d’investissement d’avenir par le ministère de l’écologie. Le dispositif Chemin va nous aider à travailler sur le rôle de l’écotourisme dans le développement du territoire et nous créerons pour l’occasion de nouveaux outils d’aide à la décision permettant de mesurer l’impact d’un tel projet sur la biodiversité. Même chose avec la fédération française des itinéraires culturels (Saint-Jacques de Compostelle, Stevenson, etc.) qui souhaitent faire de ces itinéraires des facteurs de développement durable.

VA : L’après-midi de cette seconde journée très riche fut consacrée au renforcement de compétences que pourrait apporter la mise en réseau proposée par Défismed.

PT : Comme je l’ai dit précédemment, je crois beaucoup à cette collaboration. L’enjeu en est qu’après notre intervention – ou celle de bureaux d’études – il faut trouver un moyen de prolonger la dynamique mais aussi de créer une émulation et une certaine synergie entre les différents acteurs. Tel projet initié sur la rive sud de la Méditerranée va susciter une collaboration ou un partenariat avec un projet similaire basé sur la rive nord tandis que Défismed apportera l’aide technique et l’accompagnement indispensables.

VA : L’ambition finale de ces premières universités était d’impulser une dynamique collaborative permettant l’émergence de nouveaux projets. En avez-vous pris le chemin ?

PT : On est sur le bon chemin, oui. Un fort partage est né que le réseau Défismed va prolonger et amplifier. Plusieurs participants ont demandé à entrer en contact avec d’autres, intéressés par leur action. Au vu de l’élan qui s’est manifestement mis en place, nous envisageons donc de donner une suite à cette première : un rendez-vous annuel ou biannuel pour continuer de réfléchir ensemble à la mise en œuvre de cette transition du tourisme.

VA : Qu’est-ce qui vous a positivement impressionné et donné confiance en l’avenir durant ces deux journées ?

PT : D’abord, l’affluence inattendue rencontrée sur internet alors que les conditions techniques n’étaient pas idéales. Ensuite et surtout, le fait que le discours sur le développement durable se partage aujourd’hui très bien avec les territoires alors qu’il y a peu encore, il était considéré comme du militantisme. Une prise de conscience qui permet de penser que nous nous dirigeons réellement vers un tourisme différent.

VA : Le mot de la fin ?

PT : Un des enjeux majeurs qui nous attend est de faire entrer tout ceci dans les dispositifs et programmes d’éducation. Comment créer des touristes responsables, seule alternative réelle à long terme. La question n’est pas simple mais je milite depuis des années pour que l’on apprenne dès l’école primaire à devenir un consommateur et un touriste responsable…


Premières Universités d’Automne de la transition du tourisme  | ©VOYAGEONS AUTREMENT
Par Jerome Bourgine
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