#TourismeDurable
Slow Tourisme Catalogne

Globestoppeuse, le voyage alternatif avec Anick-Marie

| Publié le 16 août 2018
Thèmatique :  Monde   Portrait 
             

Nomade depuis 2003, Anick-Marie Bouchard s’est fait connaître pour son livre La Bible du Grand Voyageur, coécrit avec Nans Thomassey (Nus et culottés) et Guillaume Charroin et publié aux éditions Lonely Planet. Véritable bible du voyage « alternatif », cet ouvrage prône de « Voyager mieux avec moins » et détaille une multitude de techniques de voyage pour qui veut aller au-delà de l’offre touristique traditionnelle : du voyage à vélo à celui en auto-stop, bateau-stop ou même train-stop et avion-stop, de l’hébergement spontané au Couchsurfing en passant par l’échange de maisons et même la récupération de nourriture dans les poubelles. Depuis 2011, Anick-Marie se fait également chroniqueuse de l’auto-stop et du voyage au féminin sur Globestoppeuse. Elle y présente notamment des portraits variés de femmes voyageuses, ces « autostoppeuses fantastiques » qui font un pied de nez à la sagesse populaire déconseillant le stop au féminin.

Anick-Marie, voyageuse d’origine québécoise, adepte de l’auto-stop et de l’improvisation

Une anecdote de voyage liée aux problématiques de tourisme durable ?

Anick-Marie: « Je suis originaire d’un petit archipel idyllique de la côte Est du Canada. Auprès des Québécois, évoquer les Îles de la Madeleine, c’est déjà les transporter dans un univers de vacances et de rêve. En dépit de notre climat plutôt frais, « les îles » (comme on les appelle simplement) ont une réputation de paradis sur mer. « Aux îles, on n’a pas l’heure, on a le temps ». Imaginez un univers qui comporte plus de plages que de terres cultivables, un peuple qui s’est construit entre les aventuriers transatlantiques des chasses aux mammifères marins, l’exil des Acadiens chassés de leurs terres par les Anglais, la production de hareng salé et de morue séchée ainsi que les rescapés de plus de trois cents naufrages… Non seulement le lieu fait rêver pour les activités nautiques, mais la culture même des Madelinots porte en elle les récits fascinants de son histoire déchirée, à travers ses contes, sa langue et ses chansons.

Cependant, la vie a bien changé en moins d’un siècle pour les habitants de ce lieu reculé. Vivant d’abord en autarcie, notons l’apparition des routes qui lièrent entre elles dans les années 50 toutes les îles habitées sauf une en prenant d’assaut les cordons dunaires. Déjà à cette époque, les Madelinots ont pris conscience de la fragilité de leur écosystème : la construction de routes et la fermeture de « goulets » (espaces d’apport en eau de mer fraîche) ont eu des conséquences importantes sur les lagunes. Les premières liaisons maritimes régulières avec la Grand’terre dans les années 70 amenèrent ensuite le tourisme à petite échelle – les touristes étant majoritairement des descendants de Madelinots exilés et des artistes y séjournant l’été.

Vers la fin des années 80, le pire devait arriver : un moratoire* sur la pêche morutière commerciale, suite à la surpêche hauturière, bien loin de l’archipel… (*En droit international, un moratoire est un accord qui permet de suspendre des activités dans un domaine donné). Ce qui devait être une mesure temporaire finit par s’étirer dans la durée, forçant les pêcheurs et tous les habitants dont les emplois découlaient de près ou de loin de la pêche (la transformation, mais aussi le transport) à se tourner vers d’autres ressources pour assurer leur subsistance. Le tourisme fut une solution évidente, mais il ne pouvait pas se faire n’importe comment, car le milieu ne peut pas absorber l’impact de plus d’un certain nombre de touristes annuellement (en ce moment 60 000 visiteurs pour 13 000 habitants) : la nappe phréatique fournit une quantité d’eau douce limitée et la gestion des déchets représente un réel défi. Dix ans plus tard, on dut se rendre à l’évidence : l’archipel ne devait plus chercher à attirer plus de touristes, mais un tourisme plus durable et de meilleure qualité.

J’ai quitté les îles avec ma famille alors que j’étais enfant, juste avant le moratoire. J’y suis retournée plusieurs fois, mi-touriste mi-exilée, quelques semaines ou quelques mois, toujours en me sentant « chez moi » — il me suffit encore de nommer la chaîne patronymique de mes ancêtres pour que les portes s’ouvrent : Aline à Albéric à Aubin à William à David…

Ce que j’ai constaté, surtout, c’est que mon peuple possède une résilience extraordinaire. En quelques décennies, les gens se sont mobilisés pour protéger leur territoire frag’îles et le pérenniser, en dépit de toutes les menaces écologiques qui l’entourent, entre la montée des eaux et les forages pétroliers du plateau continental. Ils ont refusé en bloc l’exploration gazière et instauré des règles de protection halieutique supplémentaires, « pour protéger la ressource ».

Mais au niveau du tourisme, les solutions furent de se tourner vers une approche intégrée qui stimulerait directement les autres secteurs de l’économie tout en facilitant l’accès des habitants aux produits et services de qualité. Le secteur agroalimentaire s’est tout particulièrement développé pour fournir aux touristes des produits à valeur ajoutée, transformés localement et propres au terroir : alcools locaux (bagosse, microbrasserie locale), charcuteries de loup marin, fromages, fumoir de hareng traditionnel converti en économusée, herboristerie maritime, gastronomie de la mer, cueillette de petits fruits… Les touristes repartent désormais avec leur panier de provisions pour se remémorer longtemps les saveurs salées de leurs vacances. Ils peuvent même les acheter sur certains marchés citadins, soutenant à distance l’économie sans y rajouter de pression écologique directe.

Dans un milieu où les séjours touristiques sont les plus longs au Québec (10 jours en moyenne), les Madelinots ont longtemps loué leurs maisons pour passer l’été au chalet et maximiser leurs revenus. À présent, c’est surtout l’hébergement chez l’habitant qui a la cote. Il a l’avantage de favoriser le contact avec la culture locale et de mieux transmettre aux touristes les consignes de préservation quant à l’eau potable, le tri des déchets ou les comportements à adopter dans le milieu naturel. De plus, ces dernières années, l’offre d’activités s’est incroyablement diversifiée sans entrer en conflit avec les pratiques locales. Au contraire, on a tiré parti de tous les savoirs-faire pour valoriser les artisans locaux dans leurs pratiques soutenables, tant dans la mariculture que dans le soufflage de verre ou la sculpture sur sable. Là où dans ma jeunesse les sports nautiques étaient souvent motorisés, le kayak, le kitesurf et le paddle ont fait leur place. Enfin, la multiplicité de l’offre artistique épate et fait honneur à la réputation musicale des îles où chaque famille avait son violoneux et où l’on compte une chorale par tranche de 1000 habitants !

Chaque fois que je me retrouve quelque part en tant que touriste, je garde en tête que tous ces lieux sont en quelque sorte des îles plus ou moins isolées, avec des problématiques semblables quant au tourisme durable. Là où naît le tourisme naît aussi le déchirement entre les apports économiques importants et le besoin de préserver le milieu naturel et la culture humaine face à la pression de cette industrie. Mon dernier séjour en Islande y faisait écho, mais j’ai aussi ressenti ce besoin dans des mégalopoles comme Istanbul ou Barcelone. La démarche écotouristique apparaît alors comme une évidence !« 

Traversée de l’Europe à vélo solaire jusqu’à Astana, au cœur de l’Asie centrale.

Ta définition du tourisme responsable ?

Anick-Marie: « Un tourisme plus responsable, c’est d’abord faire preuve d’humilité : reconnaître que tout voyageur de passage effectue une forme de tourisme et d’arrêter de croire que l’Idiot du voyage, c’est forcément l’autre (cf. Jean-Didier Urbain).

C’est aussi privilégier des voyages à bas impact sur l’environnement tant physique qu’humain : minimiser la prise de l’avion et l’usage d’infrastructures destinées uniquement au bénéfice des touristes étrangers comme les mégahôtels, les croisières ou complexes touristiques.

Enfin, c’est alimenter une économie locale et soucieuse du réinvestissement dans les communautés en allant vers de petites structures, des coopératives, des familles, etc. Ce faisant, on ajoute au pouvoir économique et politique local. Le tourisme est une manne pour certaines populations, encore faut-il qu’ils puissent en voir la couleur et exercer leurs capacités d’autodétermination et d’autogestion ! »

Jeu dans un igloo à Iqaluit au Nunavut (archipel arctique canadien) lors d’un séjour d’enseignement du français de 10 mois.

Et à travers ton rôle de blogueuse-voyageuse ?

Anick-Marie: « L’approche que je privilégie est de regarder ses voyages sous le paradigme du voyage alternatif, c’est-à-dire de considérer les options qui s’offrent à nous en dehors de l’industrie touristique proprement dite avant de faire des choix pour ce qui a trait à nos principaux besoins de voyageurs : se déplacer, manger et dormir en toute sécurité.

Sur mon blog spécifiquement, je fais la promotion de l’auto-stop, qui reste mon moyen de transport de prédilection avec près de 200 000 km réalisés au fil des années (10-20K/an en moyenne). J’ai aussi la chance d’effectuer des aventures à vélo, notamment à vélo électrique solaire, et de les relater. Pour moi, le choix d’un moyen de transport peut déjà être le prétexte à une aventure, peu importe l’échelle (locale, nationale, globale). Je trouve aussi pertinent de penser à l’intermodalité — combiner des modes de transport sur un même trajet ou projet. Dans ma vie quotidienne et voyageuse, ça se traduit par la marche, le vélo, l’auto-stop, les transports en commun tels que bus, train ou ferry, le covoiturage, l’autopartage et occasionnellement la location de voiture ou le taxi, le tout mixé en un délicieux cocktail transport !

La question de l’avion est délicate et me fait souvent réfléchir. À vrai dire, j’ai spécifiquement choisi d’émigrer en France pour minimiser les vols sur le long terme tout en poursuivant mon exploration de l’Asie et de l’Afrique. J’essaye de me limiter à un A/R long-courrier par an, et seulement lorsque je ne peux pas faire autrement (océan ou distances de plus de 4000 km). La vie de couple amène d’autres situations problématiques à mon sens, car si je pars un mois en stop et que je me rends à l’un de mes camps de base à Berlin ou en Croatie, mon partenaire voudra venir me voir une semaine ou un long week-end pour faire l’expérience du voyage. Mes décisions ont un impact sur les siennes. Je n’ai pas de solution pour le moment, j’essaye de faire au mieux.

Pour le logement, je suis toujours une grande partisane du Couchsurfing et de l’hospitalité spontanée. Je déteste le camping alors j’essaye d’éviter, même si j’ai souvent un hamac avec moi pour la liberté que ça me procure. Il m’arrive de me tourner vers des hôtels bas de gamme locaux ou des locations de particuliers, lorsque ça me paraît la solution la plus sûre, mais je n’en fais pas la promotion. Tout dépend du contexte.

Je ne noue pas souvent de partenariats, donc je m’épargne de nombreux questionnements éthiques. Mes derniers en date consistent à tester des produits chasse-moustiques, ou à critiquer des guides de voyage pour en offrir à mes lecteurs, c’est dire !

J’aime à croire que mes lecteurs sont des personnes conscientes et autonomes, capables de faire des choix intelligents au regard de leur situation s’ils ont accès à de bonnes informations. Le mieux que je puisse faire, c’est les enjoindre à réfléchir et leur donner des pistes. Je pense que mon guide « La Bible du grand voyageur » atteint bien cet objectif, en proposant des techniques de voyage privilégiant une éthique de lenteur, de sobriété, d’échange, d’optimisation et de développement personnel. »

Apprivoiser un long voyage en stop, ici à Izmir, au site archéologique de l’Agora.

D’autres blogs de voyage à nous recommander ?

Anick-Marie: « De tout mon coeur je recommande les récits et réflexions d’Astrid – Histoires de Tongs – et de Sarah – L’aventurière fauchée. Le travail de Anouk et Pierre-Élie sur l’aventure locale et le voyage sobre est aussi notable. J’adore les défis vidéos des Youtubeurs Thomas & Quentin, Stop-Nous Si Tu Peux !

Je maintiens à jour sur mon blog une banque de liens, principalement en ce qui à trait à l’auto-stop. »

Un grand merci à Anick-Marie pour ce partage !
:-)

———— ALLER + LOIN ————

Visitez son blog : www.globestoppeuse.com


Globestoppeuse, le voyage alternatif avec Anick-Marie | ©VOYAGEONS AUTREMENT
Par Florie Thielin
Florie Thielin fait partie du collectif de voyageurs-rédacteurs-journalistes de Voyageons-Autrement. Elle accompagne aussi des professionnels du tourisme dans leur stratégie marketing et digitale. Originaire d'un petit village dans la vallée de la Loire, elle vit aujourd'hui à Lyon. Elle a aussi vécu en Russie, Allemagne, Nouvelle Zélande et Espagne. Mais sa plus grande aventure fut en Amérique Latine où elle a sillonné les routes de 16 pays, de Cancun au Cap Horn, pendant près de deux ans. Elle troquait alors ses compétences en marketing pour le gite et le couvert, tout en réalisant des interviews-vidéos sur le tourisme plus responsable avec ses amis d'Hopineo. Elle a aussi mis à jour le guide de voyage du Petit Futé Nicaragua-Honduras-Salvador.
FacebookTwitter

Partagez cet article

Une autre façon de soutenir Voyageons-autrement, média indépendant, gratuit et sans Pub c'est aussi de partager cet article. Merci d'avance 😉

   

Découvrez nos abonnements

Une réponse à Globestoppeuse, le voyage alternatif avec Anick-Marie

  1. David a commenté:

    Pour avoir rencontré Anick-Marie, cela valait bien ce bel article bien étoffé dans votre plateforme!

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

DANS LE DOSSIER VOYAGEONS-AUTREMENT :
Blogueurs engagés

carte de toutes les partenaires de voyageons-autrement voir la carte
L'actu en continu
Les catalogues Voyagiste