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Développement durable et formation au tourisme : entretien avec Philippe François…

| Publié le 29 février 2016
Thèmatique :  Acteur privé   Conseils   Formations   Ingénierie   Portrait 
             

Pionnier d’un tourisme plus responsable, créateur d’une vingtaine d’écoles hôtelières et d’un cabinet de conseils, Philippe François est, depuis toujours, passionné par la pédagogie et essaime ses bonnes pratiques dans le monde entier. Au menu de notre entretien du jour : le sujet, essentiel, de la part réservé au développement durable dans les formations aux métiers de l’hôtellerie et du tourisme…

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Voyageons Autrement : Tout ce qui touche à la formation semble vous tenir énormément à cœur. Pourquoi cela ?

Philippe François : Parce que, comme me l’ont enseigné 40 années de pratique, tout commence par la formation. J’ai créé plus d’une vingtaine d’écoles dans ma vie et elles fonctionnent toujours. Celle de Savignac, lancé il y a plus de 30 ans a accueilli des milliers d’étudiants qui, devenus cadres, retransmettent à leur tour ce qu’ils ont appris. Vous voyez que l’on finit, de la sorte, par toucher beaucoup de gens. Mais la formation n’est pas qu’un moyen de diffuser son expérience. Bien faite, elle permet également de faire progresser l’ensemble d’un secteur car, au moment de transmettre à tous ces jeunes avides de connaissance, on est soi-même assailli par le doute et on réfléchit à deux fois à ce que l’on va transmettre ; c’est ainsi que les choses avancent. Et puis, tout va aujourd’hui si vite que tout le monde est contraint de se former ; de plus en plus et de plus en plus souvent !

V-A : Vous êtes président de l’AMFORHT (l’Association Mondiale pour la Formation Hôtelière et Touristique) depuis 5 ans. Le Développement Durable (DD) est-il aujourd’hui un thème régulièrement enseigné dans le monde ?

PF : L’AMFORHT est une ONG créée par l’ONU à la suite de l’OMT (Organisation Mondiale du Tourisme) il y a 45 ans et qui compte aujourd’hui 860 membres dans 57 pays. Je m’y suis investi depuis longtemps car c’est un levier important pour faire avancer les choses (j’y assume actuellement mon second mandat de président), son but étant de rassembler tous les acteurs de la formation : de la recherche jusqu’au terrain. Comme l’AMFORHT est déjà un rapprochement d’êtres humains, la dimension humaine inscrite dans le DD s’y est invitée assez rapidement. L’environnement, c’est autre chose ; une des missions que je me suis fixées étant précisément d’avancer sur les valeurs environnementales. Quand un commis de cuisine arrêtera le robinet pendant qu’il ne s’en sert pas, on aura avancé. J’en parlais hier en Haïti (où la gestion de l’eau importe) comme j’en parle à chaque fois que je le peux (invité récemment à Moscou pour y représenter l’association, j’en ai profité pour engager le dialogue avec une université, tenter de la faire basculer de notre côté. C’est un travail de militant de très longue haleine, comparable aux efforts répétés que nous produisons avec l’Education Nationale pour qu’elle fasse entrer cette dimension environnementale dans ses programmes officiels…

 Philippe FRANCOIS - 4

V-A : Justement, où en est-on aujourd’hui de l’intégration des principes du DD dans la formation hôtelière et touristique en France ? Quels ont été les progrès accomplis et qu’est-ce qui reste d’essentiel à faire ?

PF : Cela avance beaucoup trop lentement. La pesanteur administrative se montre en France, dans ce domaine précis de l’enseignement, particulièrement redoutable. Cela dit, il existe deux versions des faits. Officiellement, on voit que les valeurs du développement durable ont du mal à percer dans les programmes des bacs pro et les CAP tandis que plus on s’élève dans les études : universités et sup de co (en management hôtelier) où les programmes sont davantage conçus au contact de la réalité professionnelle et des entreprises, ces dimensions ont déjà fait leur apparition et progressent doucement. Officieusement, heureusement, il existe un certain nombre de directeurs d’établissement et de proviseurs qui, convaincus de l’urgence qu’il y a à mettre en place ces pratiques, vont en distiller l’essentiel, au coup par coup, en plus du programme officiel. On fera par exemple intervenir un médecin qui parlera d’ergonomie : quelle est la bonne position pour éplucher des pommes de terre durant 3 h, porter des charges lourdes à répétition, etc. Tout cela parce que des acteurs comme vous et nous (Voyageons-Autrement, François Tourisme, etc) ont su, à la longue, les sensibiliser et influencer positivement. Il faut continuer !
2015 - VA - Formation Bologna

V-A : Quels principes (ou thèmes, méthodes pédagogiques, supports…) faudrait-il rapidement mettre en œuvre dans ces formations ?

PF : Il convient de proposer des méthodes pédagogiques innovantes sur ce thème. « Ferme le robinet » ne suffit plus. Pour tout ce qui concerne l’ergonomie, par exemple, nous avons conçu un livre qui est presque une BD. Les images parlent beaucoup et le support devient d’un coup plus attractif. Et pourquoi pas carrément ludique ? Les serious games marchent très bien, d’autant que 80% des solutions à faire passer tiennent à nos attitudes et comportements : si le message est entendu par la personne, l’essentiel est fait. Cela a d’ailleurs parfaitement fonctionné il y a une vingtaine d’années avec l’enseignement de la qualité de service. Quand un client se présente, quelle est la première chose à faire ?… Le regarder. La seconde ? Sourire. Et la troisième ? Ecarter légèrement les bras en signe d’accueil. Non seulement ces pratiques doivent passer par un enseignement plus ludique, mais également, non magistral. De l’époque où un professeur enseignait 20 élèves, on est en train de passer à celle où 1 élève est enseigné par 20 professeurs. Même s’il n’existe pas encore de MOOC structuré dédié au DD, il sera essentiel d’associer à cet enseignement des gens divers, présentant chacun l’aspect du DD qu’ils abordent professionnellement au quotidien. Toute la richesse et la force de cet enseignement viendra de cette diversité. Il reste tant à faire !…

 V-A : Existe-t-il dans le tourisme, un lobbying et des intérêts financiers qui pèsent pour que les choses n’évoluent pas ? Ou bien n’y rencontre-t-on rien d’autre que le conservatisme ordinaire ?

PF : Non, objectivement, les lobbies ne sont pas le problème. Je dirais même qu’il existe des intérêts industriels et financiers évidents qui profiteraient d’une intégration plus rapide et plus vaste du DD dans les pratiques. La France compte des géants dans le domaine de l’environnement (tel Engie, ex GDF-Suez, pour l’eau) qui auraient tout intérêt à s’impliquer davantage et se rapprocher de leurs utilisateurs métiers. Elles pourraient, au contraire, devenir autant de locomotives de la transformation. Encore une piste à explorer…
2015 - VA - Formation Ecorismo

V-A : Dans le même temps, il faut faire attention aux effets de mode. Plus d’un quart de la centaine de masters dédiés au tourisme ont intégré les mots « Développement Durable » dans leur intitulé à seule fin d’être « dans le coup » sans que l’enseignement suive pour autant : zéro DD dans le contenu des cours ! Et les jobs ne sont pas toujours au rendez-vous non plus lorsqu’on est diplômé en DD, tant s’en faut…

PF : Concernant la présence des mots « développement durable » dans l’intitulé, je pense qu’on doit être plus proche de la moitié que du quart. Simple effet vitrine malheureusement. Une question de mode, d’image de marque également. Au moins ces établissements en parlent, font un peu de sensibilisation, même si les programmes dédiés aux DD derrière sont rarement à la hauteur (quand ils existent en effet !). Cela dit, est-il souhaitable de voir se créer une formation entièrement dédiée au DD en matière de tourisme ?… Je ne le pense pas. Cela ne se justifie pas aujourd’hui. Ou alors sur certains aspects pointus, en spécialisation ; des choses du genre « Aménagement du territoire dans la perspective d’un développement touristique durable » à l’intention des cadres territoriaux.

Pour moi, le DD n’est pas une nouvelle matière, un thème académique en soi, mais doit être intégré transversalement dans TOUTES les matières des cours. Car il existe une voie plus respectueuse et durable pour toute chose. Quant aux débouchés, soyons clair : il existe encore très peu de véritables métiers dans le DD. Un poste dans les très grandes entreprises liées aux espaces de vie et à l’aménagement, donc à l’environnement : Accor, le Club Méd, Aéroport de Paris… une poignée. Arrêtons de promettre la lune de ce côté. En revanche, un directeur d’hôtel doit impérativement, de nos jours, être au fait des différents labels, procédures vertueuses, etc. Même chose pour les cadres territoriaux concernant l’aménagement. On en revient à ce que l’on disait : mettre du DD dans tout sans pour autant « inventer » un métier uniquement consacré au DD.

V-A : Quels conseils donner aux jeunes qui se sentent vraiment concernés ? Quelles filières sont valables et quels métiers porteurs ?…

PF : La bonne nouvelle, c’est que les entreprises rejettent beaucoup moins les sujets environnementaux que le monde enseignant. En partie parce qu’elles ont réalisé que ces projets, transversaux, étaient souvent extrêmement fédérateurs, offrant un but commun à des personnes qui, quel que soit leur poste, se trouvaient concernées. De plus, ces démarches de progrès structurent et enrichissent le professionnalisme global des équipes. Résultat : le DD est plutôt bien vu en entreprise et il est donc très utiles d’avoir, sur son CV, une ou deux lignes du style : « sait gérer une démarche environnementale, une labellisation », des plus dans ce genre. Et ce, quel que soit le job envisagé dans l’hôtellerie-tourisme.

 

 


Développement durable et formation au tourisme : entretien avec Philippe François… | ©VOYAGEONS AUTREMENT
Par Jerome Bourgine
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