#TourismeDurable
Pacifique Sud Exotique

Arnaud Horellou, responsable Autorité scientifique CITES France

| Publié le 20 février 2017
             

Propos d’Arnaud Horellou, responsable Autorité scientifique CITES France, retranscrit de la conférence “Qu’est-ce qu’un tourisme responsable ? Les paroxysmes” qui s’est tenu le 20 février 2017 au Muséum national d’Histoire naturelle.


La CITES est une convention internationale, parmi l’arsenal existant pour préserver la biodiversité. Celle-ci s’intéresse à la régulation du commerce des espèces de faune et de flore menacées. Selon les estimations, le commerce légal représente entre 4 et 6 milliards de dollars chaque année; le trafic est estimé entre 15 et 20 milliards de dollars.

Le tourisme de nature se décline en deux grandes branches : un tourisme de vision et un tourisme de possession. À titre d’exemple, en Tanzanie en 2014, le tourisme de vision (safari pour observer la nature) a représenté 4,5 millions de dollars de chiffre d’affaires. Dans le même temps, le tourisme de chasse y a représenté 16 millions de dollars.

Le tourisme de vision représente davantage de personnes que le tourisme de chasse. Mais la balance commerciale penche très fortement vers le tourisme de chasse. Quand on observe, on ramène souvenirs et photos. Quand on veut posséder, on prélève directement, par le biais de la chasse, mais aussi indirectement, via le commerce artisanal. Le fait, pour le touriste, de ramener ces objets ou trophées dans son pays équivaut à un échange transfrontalier ou international. C’est sur cette dimension que la convention CITES s’applique.

Cette convention, dite « Convention de Washington », a été signée dans les années 70. Actuellement, 182 états, ainsi que l’Union Européenne, en sont signataires. Cette convention a pour objet de réguler et donc de gérer. La gestion passe par deux niveaux : le niveau intra-national et le niveau international. La CITES s’intéresse à ces deux niveaux, en visant à l’application homogène des règlements. La CITES repose sur l’idée d’un règlement commun et une liste d’espèces cibles commune à tous les pays, dans le cadre de décisions prises en consensus, lors des conférences internationales pour la CITES qui se déroulent tous les 3 ans. La dernière édition a eu lieu à Johannesburg en septembre 2016.

Chaque état signataire s’engage à mettre en place trois entités :
– une entité administrative, pour gérer les aspects administratifs des demandes d’import-export
– une autorité scientifique (que le Muséum d’Histoire Naturelle représente pour la France) pour évaluer les menaces et émettre des avis scientifiques sur la soutenabilité des commerces dans chaque cas ;
– une entité de contrôle

Évaluer la soutenabilité, pour établir ce qui est acceptable pour ne pas nuire aux populations sauvages des espèces, et coopérer pour lutter contre la fraude sont les deux objectifs affichés de la convention.
Mais une convention est avant tout un point focal international. La CITES a donc pour mission d’organiser et de financer des plans d’ampleur, comme des plans contre le braconnage ou l’exploitation de ressources boisée, d’être un relais d’information pour améliorer les contrôles sur les fraudes et les mécanismes de fraudes. Elle agit également en faveur des modes de production artificielle : dans le cadre d’échanges commerciaux, agir sur l’offre est insuffisant car la demande demeure. Si les sources légales d’offres sont bloquées, des sources illégales prennent le relais. Favoriser la production artificielle permet d’alimenter un commerce tout en libérant les populations sauvages de cette pression. Enfin, la convention est également le point focal des débats sur les orientations et décisions communes.

Au-delà du contexte international de la décision des états, il est nécessaire d’adopter également le point de vue des territoires où vivent ces espèces, qui se composent aussi d’êtres humains et de communautés. Nombre de pays où la nature est restée sauvage sont souvent des pays moins industrialisés. Les communautés locales ont besoin de vivre, de manger, de se développer. Se pose donc la question de la ressource pour ces communautés. Cette question a pris beaucoup d’ampleur dans la CITES. Les questions de conflits entre la nature et l’Homme sont davantage évaluées.
A titre d’exemple, en Afrique Centrale, les points d’eau sont souvent utilisés pour une micro-culture de riz, vivrière et familiale. Mais beaucoup d’espèces aquatiques peuvent être agressives et ravager les récoltes, comme l’hippopotame. Un autre exemple peut être cité sur la culture du blé en Afrique : les jeunes pousses attirent les herbivores, qui ravagent les cultures. Ces herbivores attirent des grands carnivores, qui représentent un danger pour l’Homme. Se pose alors la question de savoir comment faire pour que les animaux aient, pour ces communautés locales, une valeur plus grande vivants que morts. En effet, si les communautés ne sont pas soutenues dans la démarche de préservation de ces animaux, ces derniers deviennent des nuisances. Les populations humaines auront donc tendance à être les premiers acteurs de leur destruction. Nous devons donc faire en sorte qu’ils soient les premiers acteurs de leur conservation.

Par ailleurs, les schémas de polycultures traditionnelles reposent sur des espaces de cultures non homogènes, très favorables à la biodiversité. Cette dimension ne peut être occultée, tout comme les profits commerciaux qui sont générés. La CITES négocie des accords pour qu’une partie des profits du commerce des espèces soient reversée aux communautés locales, sous forme d’argent mais aussi sous forme de créations d’emplois, de création de ressources et d’implication directe des collectivités.

La CITES s’intéresse également à la responsabilisation des états par rapport à leur patrimoine naturel. A titre d’exemple, les réserves africaines comme le Selous en Tanzanie ou le Pilanesberg en Afrique du Sud, sont des espaces très convoités par les industries minières. L’engagement international de conserver la nature est aussi un moteur supplémentaire pour conserver ces espaces qui permettent à la faune sauvage de survivre.

Une des grandes réussites de la CITES est la promotion des sources artificielles des espèces, notamment le ranching. Cette technique est très utilisée pour les reptiles, qui connaissent une très forte mortalité juvénile. Le ranching consiste à récolter les œufs dans la nature, à élever les jeunes, pour ensuite remettre dans la nature la part qui aurait survécu et conserver pour le commerce la part qui serait morte naturellement. Ainsi, cette technique permet aux communautés de participer à ce commerce et de récupérer une partie du profit. Cela permet de maintenir une offre face à une demande toujours croissante. La CITES s’interroge sur la façon d’organiser l’offre pour court-circuiter les trafics.

Questions diverses

Jean-Philippe Siblet / Comment un touriste se rendant à l’étranger prend-il connaissance de la réglementation en matière de préservation de la vie sauvage et que risque-t-il si, même de bonne foi, il ramène des objets non conformes à la législation ?
Arnaud Horellou / La connaissance de la législation constitue le premier problème. Les trois-quarts des touristes qui ont acheté tout ou partie d’une espèce, ne connaissent pas nécessairement la législation. Ils risquent une amende s’ils n’ont pas fait une demande de permis d’exportation. S’informer sur la législation reste difficile. Cette dimension est un des challenges de la CITES, qui souhaite informer le public. Les compagnies de transport sont en cours de sensibilisation sur ces questions, afin qu’elles soient le premier relais d’information.
Cette année, la France, par le biais du Muséum, a participé à un hackathon. Il s’agit d’une plateforme collaborative de développement de produits informatiques innovants. L’objectif de notre équipe était de créer une application permettant d’informer les touristes, d’être support des compagnies de transport et des agents de contrôles, afin que chacun puissent être informé des démarches à effectuer pour rester dans la légalité.
On peut penser qu’exploiter la nature est mal. Toutefois, la nature est une ressource qui profite aux communautés locales. Cette dimension est bien un paroxysme : si l’on veut mettre la nature sous cloche, les communautés locales ne parviendront pas à vivre, et il n’y aura dès lors plus de raisons économiques de maintenir ces espaces qui sont vitaux pour les espèces. Le délicat objectif de la CITES est de parvenir à un équilibre.

Question de la salle / En Guadeloupe, certaines espèces marines sont protégées, comme les poissons-anges. Pourtant, on les trouve sur les étals des marchés. Ces poissons représentent une richesse pour les populations locales, car beaucoup de touristes viennent en Guadeloupe pour pratiquer la plongée et admirer ce type de poissons. Malheureusement, j’ai pu les observer uniquement dans les étals, et non dans la réserve dans laquelle j’ai pratiqué la plongée. Quelles actions concrètes sont mises en œuvre pour protéger les espèces marines, notamment en Guadeloupe ?
Arnaud Horellou / La question du contrôle est légitime. Cette question nous amène à un principe fondateur de la loi, à savoir qu’il n’y a pas de loi sans police. Les forces chargées de contrôler l’application de la loi, doivent être en nombre suffisant et suffisamment formées. Le problème actuel est avant tout celui de la formation. Les douaniers, les services de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage ou de l’OCAS (Police de la Nature) ont parfois des difficultés à identifier les espèces soumises à un texte de protection ou de régulation. Cette incapacité à savoir immédiatement s’il y a infraction ou non complique les processus.
Pour répondre plus précisément, effectuer un contrôle efficace, au vu du nombre d’étals et de la superficie des marchés, est impossible. La réponse que la CITES promeut est davantage d’information et de formation des acteurs locaux. Nous les sensibilisons au fait que les touristes viennent en partie pour observer ces espèces dans la nature et que si ces espèces sont détruites, les touristes ne viendront plus. La perte sur le long terme est beaucoup plus important que ce qui est gagné sur le court terme. Il s’agit d’un des grands enjeux de communication de la CITES, en complément de la dimension pédagogique et du contrôle.

Le mot de la fin d’Arnaud Horellou

En marge de la conférence des parties de la CITES de 2016, j’ai observé que les réserves, notamment en Afrique, ont beau avoir le statut de réserves, une certaine utilisation de la nature se poursuit, à travers la chasse ou d’autres activités. Une partie de ces réserves est montrée en vitrine pour les touristes, avec des routes goudronnées pour y circuler en véhicules. Se pose toutefois la question de la portion allouée à l’industrie touristique pour générer des profits qui permettront de conserver l’ensemble. Cet aspect est une réalité. C’est la partie du Parc Kruger en Afrique du Sud qui est pourvue de routes goudronnées et ouverte au tourisme qui permet de générer des profits qui permettent à tout le parc de survivre.
Un équilibre doit être trouvé entre l’activité commerciale qui permet de faire vivre les communautés et donne une raison économique à l’existence des réserves – sans cela, dans de nombreux pays, les réserves seraient abandonnées – et la préservation de la nature.


Arnaud Horellou, responsable Autorité scientifique CITES France | ©VOYAGEONS AUTREMENT
Par Romain Vallon

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